lundi 2 juin 2025

Mélanie Arcand : entre silence et effervescence du geste

 



































Mélanie Arcand : entre silence et effervescence du geste



Mélanie Arcand, artiste peintre née en 1981 au Québec, développe depuis plusieurs années une œuvre abstraite qui conjugue rigueur graphique et spontanéité gestuelle. Son parcours, atypique, témoigne d’un cheminement personnel ancré dans le réel mais orienté vers une exploration intérieure. Après des études en arts visuels, puis un passage par le monde des affaires, elle choisit en 2014 de se consacrer entièrement à la peinture. Depuis, elle construit un langage visuel cohérent, reconnaissable, et sensible.

Arcand œuvre dans le domaine de l’abstraction lyrique, mais son travail ne se limite pas à un expressionnisme du geste. Ses toiles sont traversées par des tensions, des équilibres précaires entre des zones de retenue et des épanchements chromatiques ou graphiques. Il s’agit moins d’une libération de l’inconscient que d’un dialogue entre la maîtrise et la perte volontaire de contrôle. Sur ses supports, les couches de peinture, les traits de graphite et les marques manuscrites cohabitent, se superposent, parfois se contredisent, comme les traces d’un processus mental mis à nu.

Ce qui frappe dans son œuvre, c’est cette manière d’associer des gestes expressifs — larges aplats, coulures, formes flottantes — à des interventions plus minutieuses, presque calligraphiques. À certains égards, cette approche évoque les recherches de Cy Twombly, chez qui l’écriture devient forme plastique, ou encore les compositions atmosphériques de Joan Mitchell, dans leur manière de laisser l’espace respirer. Chez Arcand, toutefois, le souffle est plus contenu, le silence plus présent. Elle semble souvent suspendre le mouvement, interrompre la narration visuelle, pour faire place à une forme de méditation graphique.

Son travail s’inscrit également dans une certaine tradition québécoise de la peinture abstraite. On pense ici aux « Automatistes », et notamment à Paul-Émile Borduas ou Jean-Paul Riopelle, pour la primauté accordée au geste et à l’instinct. Mais Arcand s’en distingue par une posture moins radicale, plus introspective. Elle ne cherche pas à rompre avec un ordre établi, mais plutôt à sonder les seuils de l’émotion et de la mémoire. Son abstraction n’est pas un manifeste : c’est une écoute.

Le titre de ses œuvres suggère souvent des pistes interprétatives — Le chant des sirènes, Call me baby, L’odeur des lilas — des bribes de récits sensoriels ou émotionnels qui ancrent la toile dans une dimension poétique. Ce choix d’ouvrir un espace de résonance avec le spectateur — sans imposer un sens — témoigne d’une volonté de rester dans l’ambiguïté du ressenti. L’image n’est jamais close. Elle invite, elle attend, elle propose.

Techniquement, Arcand privilégie les techniques mixtes. Elle combine acrylique, encre, graphite, parfois collage, pour construire une surface à la fois complexe et fluide. Ce choix traduit une volonté de faire dialoguer les matières, de créer des contrastes non seulement de forme mais aussi de texture. La couleur, souvent atténuée, fonctionne par nuances, par suggestions. Il n’y a pas d’éclat brutal : tout semble filtré par un voile de retenue.

Ce qui se dégage de l’ensemble de son travail, c’est une tension constante entre le visible et le caché. L’œuvre ne se donne pas immédiatement ; elle se découvre lentement, par couches, à l’image de son processus de création. Cette lenteur invite à une forme de contemplation. Elle rompt avec le rythme rapide de l’image contemporaine, souvent saturée. Chez Arcand, il faut regarder, attendre, revenir.

Si la peinture se pose en terme de risque dans l’abstraction, se risquer à défaire l’unité fond/forme se prononcera, s’intensifiera avec l’expressionnisme abstrait américain. C’est aussi par cette aporie que Mélanie Arcand va défaire l’unité, l’irréalité d’un tel pragmatisme. C’est en renversant ce problème, c’est-à dire en touchant au trait, que va se libérer la spatialité du sujet. Le sujet peintre traite toute application picturale comme intrinsèque à la ligne irrationnelle, déconstruisant le bord ou la coupe d’une surface idéaliste et encore indice d’une peinture d’histoire (le dessin comme structure d’un sujet peint, enveloppant ainsi ce qui sournoisement rature tout sens d’un réel alors photomonté). Ce qui s’assimilait au dessin recouvert, caché, n’est plus ici statique mais bien mis en lumière, traversant la toile pour disjoindre toute reconnaissance formelle. Le geste participe à cette réversibilité de l’acte de peindre, invitant le regard à déplacer toute perspective qu’elle soit abstraite ou touchant à une figure.

En ce sens, Mélanie Arcand propose une peinture du temps suspendu. Une peinture qui ne cherche pas à éblouir, mais à faire ressentir. Elle occupe une place singulière dans la scène artistique actuelle, en résistant à l’effet, en choisissant la densité plutôt que le spectaculaire. Son travail, tout en restant accessible, exige une disponibilité du regardeur, une forme de présence.

Il est encore tôt pour mesurer pleinement l’impact de son œuvre, mais il est clair qu’elle inscrit sa démarche dans un courant contemporain qui valorise l’intimité du geste, la subtilité de l’émotion, et la persistance des traces. Ses tableaux sont des lieux de passage — entre l’intérieur et l’extérieur, entre la pensée et la matière. Des paysages invisibles où chaque trait, chaque forme, chaque silence compte.



Thierry Texedre, le 2 juin 2025.



Mélanie Arcand (1981-)

artiste peintre québécoise, vit et travaille à Chambly au Québec.


















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