vendredi 16 novembre 2007

Plaisir et dépression 3, le format aujourd'hui, quel espace?














Espace,Temps, Matière 1993 Jean-Pierre Luminet 65 x 50 cm



"...Dans cette lithographie intitulée "Espace, Temps, Matière",
j'ai voulu symboliser la nouvelle vision physique du monde
issue de la relativité et de la mécanique quantique. La
cathédrale délabrée traduit l'effritement du monde classique,
statique et déterministe, au profit d'un monde relativiste,
dynamique et probabilistique..." Jean-Pierre Lumineau


Plaisir et dépression 3

- Vous semblez donc esquisser un travail à venir qui
serait celui d'une peinture solidaire de l'écriture, comment
cela se peut-il matériellement, comment un peintre peut
espérer travailler dans cette trajectoire et répondre à ces
schémas d'organisation dans sa pratique instituée?

T- La langue est ouvertement reproduction des corps pris
en écharpe, reconstruits dans la cursivité de l'alignement
horizontal proposé avec l'écriture occidentale. Mais cette
descente aux enfers de la langue dans une analyse
interminable de ses effets, tend à se rompre, sur un bord,
celui du format inséparable de celui d'une peinture dont la
représentation est celle de l'individu pris dans l'humanité
et retiré dans l'Animalité par ses états pulsionnels
privilégiés. Ce dire ne viendrait pas en addition ni en
complément sur le dit format, mais dans le cadre
résurrectionnel qui lui est obligé. Une division est donc
inévitable pour régler le sens d'une telle confrontation. Le
cadre sera divisé dans sa verticalité et produira une
situation où les deux champs feront volume en glissant
l'un devant l'autre, annulation de l'un au profit de l'autre,
dans une vue décentrée, puis en "deux temps", par
"l'enfouissement et le surgissement du temps", question
que le texte de l'un des champs clôturera dans la
matérialité infinie de la toile divisée. C'est une relance
que la couleur au niveau pulsionnel rend possible dans
ce zip central et hallucinatoire; le païen n'est pas plus
vraisemblable que la croyance monothéiste dans cette
lecture de la peinture que la musicalité enrobe lentement,
à se dresser devant ce format de biais, ce volume couché.
Le cadre se verra divisé dans l'horizontalité textuelle,
division dans la largeur dont une surface semble traverser
son propre champ pour absorber et contenir l'autre espace
retenu seulement par la ligne qui les sépare, pour enfin
s'accentuer l'un l'autre. Le texte ici verra son addition
augmenter, ouvrir le volume de la figure par un
morcellement des corps. C'est tout le débat de la jouissance
et de la mort.

- Vous disposez ainsi des énoncés aussi bien dans ce qu'ils
ont d'oral que leur évolution dans le registre scriptural.
Comment en êtes-vous venu à dire que la peinture doit en
arriver à une harmonie de l'écrit et du pictural dans un format
auquel ils seraient liés, et ce, pour ne plus s'y soustraire et
former un "support" à une pratique que vous avouez être celle
de la dépression.

T- En ce sens, en effet les énoncés se doivent d'apparaître en
clair, et ce au profit de l'oralité. Celle-ci dénonce plus que toute
signification le non dit du corps, à travers les rythmes, les
intonations, en tant que phonétique ou sons entrecoupés de
silences ou des gestes de la corporéité alors révélée à elle-même.
Du non dit ou de la vacation des corps pris à leur langue, dans
la culture qu'ils traversent, mais toujours en s'y soustrayant au
regard de l'infinité du désir. De plus l'aspect oral et la prise en
compte du corps se retrouvent dans l'inscription pour évacuer la
logique qui n'est qu'un moment de l'emprise scripturale. Pour
en venir à la peinture, ne plus s'en tenir à la critique Esthétique
revient à faire le vide pour un temps, au lieu qui était jusqu'au
XIXe siècle investi des figures religieuses et mythiques, aussi
dominé au XXe siècle par l'analyse des contradictions qui sont
en jeu, dans l'acte même de la picturalité, à travers d'autres
pratiques sociales qui la traversent. Puis dans les années 70,
nous avons dédéclarativement une nouvelle force qui monte,
et qui redonne du pouvoir (n'est-ce pas le manquement au
massacre du corps, après les deux grandes guerres, du point de
vue de l'inconscient collectif, de son lieu collé au social, qui
pousse à jouir et ferme l'intellection?) à la peinture en tant
qu'elle devient objet de connaissance par forçage des corps à
penser, à dépenser; à rebours avec la psychanalyse d'où se déploie
la sémiotique qui est une théorie générale des modes de signifier.
Pour ne citer que deux peintres ayant eu recours à de tels procédés
d'analyse: Devade et Cane.
Encore une fois ce qui saute aux yeux avec ces peintres c'est
l'analyse qu'ils font des moyens mis à leur disposition pour
peindre. Moyens où connaissance? Certainement aussi le plaisir
que le sujet porte en lui à reproduire de la langue, et par là,
l'exploite virtuellement.