vendredi 28 août 2015

Le peint sans nom




Ce qui caractérise la peinture  depuis la perte d'une figuration, c'est la dérive. Moins violent serait de dire l'éloignement. Mais l'éloignement pose le problème de son objet, éloigné de quoi ? La perspective ne peut pas régler cette question à elle seule. Le point de départ d'un travail sur la peinture est fluctuant, il ressort de paramètres dont on ne peut discerner les origines qu'en remontant le cours du peint, une fois la toile exposée, et en dernière instance, au regard de l'après-coup de pinceau. Là encore le support importe à étayer une structuration  picturale dont on sait déjà que le pigment sera son référent. Mais l'intérêt qui ressort du jeu en question dans cette dérive est la couleur. Le geste de la couleur, sa densité, son souffle, son unicité. L'image ne serait qu'un lointain souvenir dont le support nous tirerait les fils, ceux du temps. Cet enchâssement, peut à tout moment disparaître, laissant la trame libre d'une manipulation spatiale dont on sait que de la découpe, des plis, et autres recherches peuvent naître de grandes créations. L'éloignement dans le peint est aussi marqué par un retour au support classique avec le châssis. Question qui n'en finit pas de hanter tout peintre, à savoir quelle figure rencontre l'éloignement ou le rapprochement du temps de la perspective, à rencontrer ce support pour s'en défaire ? Par la transparence, par le geste, par l'annulation des couleurs dans le noir pour y voir la lumière révéler la couleur (parcours de l’extérieur reflété sur un volume qui plonge dans la trame, le grain du support, par la lettre aussi - le signe - la graphie, interventions sans fin d'une dérive qui sort du cadre pour oser la peinture jusqu'au bout de l'incarnation, là ou le corps qui peint  rencontre la chair, le corps peint. Une grande liberté qui rencontre la nature et l'art éphémère, installations que le temps effacera. L'art et la photographie, techniques multiples pour s'éloigner du seuil fatidique qui marque cette fuite en avant : l'impossibilité d'effacer la figure. La traversée du sujet est centrale, mais ce corps pensant qui compose pour se délivrer de tout questionnement, ça met en avant l'inconsistance de l'inconscient. Découverte majeure mais biffée par cette rivale à têtes multiples, anamorphose du temps de son sujet (l'inconscient est cette charge dont on sait la possession qu'un sujet a de ne pas parler cette charge émotionnelle). La rencontre avec l'inconscient serait cette incidence dont le peintre croit devoir fourrer son nez dans le chaos intriqué de ses démons. Le langage, voilà bien là ce qui aide à résoudre les écheveaux mêlés, pour dénouer ce que cette peinture n'a de cesse d'expulser. De tout temps, les peintres ont cherché et fouillé dans ce corps d'élection privilégié qu'est celui de la chair. Découper, retirer, rajouter, coller, arracher, peinture du dedans le sang comme pigment, le meurtre comme la proie entre les mains du peintre, le pinceau comme arme de la possession d'un corps autre, étrange. L’éblouissement de la peinture met son sujet en présence de la reconnaissance par un face-à-face avec la transfiguration et le voile peint, le linge de l’hypothèse du déchirement chrétien face à l’impossible résolution du point de vue central depuis la face entrouverte de l’enfer d’être.



Thierry Texedre, le 28 août 2015.