samedi 27 mai 2023

Une peinture en plages naissantes


































 Une peinture en plages naissantes


« Il faut y aller, c’est ça qui compte dans le paysage. »


Donner à voir ce qui court dehors.

Mais pas du dehors de cet intérieur qui a fait naître la peinture, puis l’écriture, et aujourd’hui cette symbiose du bloc [esprit/corps/information] dont on ne sait plus dans ce magma, quel en est l’origine ou la copie du temps abscons. Alors, quel est ce dehors imperturbable et innommable pour et par lequel on tente une insoutenable représentation. Voilà le voile qui se lève un peu sur ce dehors imposant sa grande indépendance ; agacement de celui qui croit le tenir, l’exprimer, le fixer.

Je parlais de paysage plus haut, dans l’intention de présenter ce déplacement qui nous oblige. Et c’est pour ça que du point de vue du peintre ce manque de temps l’amène à rencontrer ce que nous nommerons paysage/extérieur, ce double et unaire comme contradiction et pause, afin de renverser l’ordre symbolique qu’une vision a eu d’opérer, dans l’histoire, notre dimension attentatoire à l’anamnèse de la mémoire humaine ; ce qu’un corps a de rencontrer « ce qui se voit ».

Idris Murphy semble s’arrêter prudemment sur la couleur où des pigments métalliques viennent s’interposer ou se juxtaposer à l’acrylique pour refléter une brillance rappelant le sable. Les peintures montrent des collages qui rendent lisible une perspective qui va travailler le réel et le rêve comme liens indissolubles. L’huile est aussi utilisé coùmme médium. C’est aussi une combinaison entre terre et lumière. L’artiste travaille aussi beaucoup sur carton. Dans cette spatialisation, l’artiste fait apparaître/disparaître le temps, ce qu’une mémoire enregistre à travers cette vue de l’insoupçonnable « désir » d’en découdre avec ce que l’œil ne voit pas encore. A trop y voir, aveuglé par d’autres mémoires-histoires. Les plages colorées impriment une rivalité entre formes aléatoires et aplats redondants rappelant l’origine des paysages australiens. Une impression qui tombe sur l’ombre d’un regard débordé par ce qui colle au centre : l’image « inaudible » d’un jour illuminé. Voilà ce qui tente de faire trembler ce manque d’eau devant nous. L’image inappropriée du « désert mental ». Toujours là pour pousser l’esprit dans les méandres d’une métamorphose du temps en plaisir. L’artiste ici a tout compris des artistes autochtones qui cartographiaient avec constance en points juxtaposés la terre lumineuse et métallique du continent. Pourtant, en contrepoint, on rencontre des zones découpées d’une nature verdoyante. Une certaine respiration du visuel. Mais l’enfer tient bon. Il avance lentement, comme partout, asséchant ces paradis encore présents pour un temps. C’est le temps d’un enfermement qui nous ment, nous entraînant dans d’insoutenables et d’invraisemblables excursions ; dans le feu d’un désir voué au « même ». C’est l’identique poussée dans les errances d’une spatialité qui croit encore au paysage du dépaysement. S’il conjure l’angoisse du désespoir, le voilà alors qui se manifeste d’une indicible impression. Idris Murphy épuise Matisse dans son extériorité, comme si la couleur faisait écran à une commémoration du temps dépassé. Le dépassement de Matisse donne à descendre, à s’accroupir, pour aller chercher la terre, la sentir, la conjurer aussi. Et ce qu’il en reste de la couleur est plus vraisemblable qu’une harmonie des couleurs surexposées. On y voit toujours un environnement naturel partiellement effacé jusqu’à l’abstraction, aux portes de l’abstraction. Ce cortège environnemental se « dénature » jusqu’aux aplats d’une peinture (une nature) à naître.

La peinture est en plaques, de ces blocs qui font craquer la mise en station de la matière, pour la labourer en profondeur, lui faire faire un retournement, le format de la toile y est pour quelque chose, on peut encore peindre pour décider s’il faut y aller, pour voir, seulement voir, ça veut dire : la maladie peut nous surprendre à n’importe quel moment, les plaisirs de la vie aussi, et la beauté de même. La peinture traverse ces états. Peindre enveloppe ce lieu indicible dont on sent pourtant la présence à effleurer la toile à un moment, caresse de la peau, jeu avec ces frottis ces enfflements de formes naissantes le regard penché sur le devant de la scène. La peinture commence à musiquer alors. On écoute sans le regard et on regarde sans l’audition, celle-ci vous lance dans d’innommables méandres la pensée au plus haut point servile. La création se fait partage et communion. Ça commence à parler une autre langue. On se promène déjà. On a inventé la présence. La peinture ici, permet la présence. C’est pour ça qu’il y a des substituts, des choses dont on ne voudrait pas encore l’apparition. L’artiste reconnaît alors des végétaux, formes hybrides aussi. La peinture nous repositionne ailleurs. Elle est peut-être un peu tortionnaire. Un voile vient démonter notre savoir, envoûter notre détermination à absoudre ce qui ressemble à de la figuration. Ce serait une sorte de deuil finalement. Mais la peinture d’Idris Murphy est une belle naissance. Une plage sans cesse de l’irrésolution verbale face au monde insaisissable de la multidimensionnalité. On invoque beaucoup « le jour » pour montrer un paysage, passage de la non vue à cette vue de trop. C’est comme regarder le soleil en face. On est aveuglé. On s’impose comme recours l’extension latérale, la vision de biais et périphérique. Pourtant, il y a « la nuit » qui continue à exercer sa saisie, sa présence, ses ombres, comme isomorphie. Ce qui pousse le peint à entamer une diversion vers ces plages lumineuses du jour coloré. De cette intériorité de maltraitance va « naître » le tableau qu’aucun rêve n’aura de cesse d’abscondre et qui raconte une histoire de la peinture. Mr Murphy en impose avec ses grands formats !



Thierry Texedre, le 2 mai 2023.  






dimanche 7 mai 2023

Les paysages d'un délit












































 Les paysages d'un délit


sur les peintures d’Anne Johnstone (1957-)

vit et travaille à Lexington, Massachusetts


C’est un corps du déni. L’image s’en suit, comme si elle incarnait, et saupoudrait quelque chose d’inapproprié, d’inhabituel. Le désir s’émeut. Le déni use d’une interpellation pour soustraire de l’image ce qu’elle évite, ce qu’elle n’a de cesse d’absoudre, de résoudre aussi ; comme si l’image était en trop en somme.


Là est le nœud impressionnant de ce qui semble se « dessiner » depuis la peinture, devant nous, en trop, ou pas assez, du subterfuge qui risque de nous faire basculer, de nous faire passer à côté du regard, de l’attention d’une ontologie du débordement d’un réel pris dans le temps sociétal. De ce qui se risque d’une démesure du visuel qui opère un va-et-vient depuis la figuration barrée vers une usurpation rétinienne de la mémoire qui use d’une abstraction comme économie et dévoilement du sujet. On rencontre alors une certaine cadence dans l’information visuelle. Tout porte à croire que la peinture se comporte comme un sismographe enregistrant les secousses cérébrales du moment « en pause » devant la peinture. Il y a une certaine condescendance envers l’œil alors que cette peinture commence à déterminer une réaction insurrectionnelle avec le regard.

La magie opère. On a le temps.


Le temps, c’est là le principal opérateur de la peinture.

Sa ressource, et sa discrétion aussi. On peut s’asseoir devant le tableau, ou marcher, passer revenir et voir.

Si ça parle de peinture, c’est devant, bien évidemment.

Et la forme, la matière, l’impression, le ressenti ?

Ce sont des actions qui commémorent, rien de plus.

Le mystère, serait-il de la partie ?

Le mystère, c’est un brouillage ; un code pour obscurcir tout simplement.


Il y a des pieds [ça marche pour nous ! Et c’est bon pour la peinture !], des animaux, des sexes tels des toits de maisons implantés au milieu de nulle part, des ombres humaines, des fleurs sans nom, des tâches, des signes des giclées, des griffures, des lignes, des tracés et repentis…


Voilà ces formats ni trop grands ni trop petits, petits par leur géolocalisation, mais grands par leur intentionnalité, leur programmatique. Ils en disent long sur la vie. Fut-elle intérieure, ou extérieure, autre ? On entre dans un état de surabondance intellectuelle. Le peintre nous y invite dans l’indécidable, dans l’insituable.

Et la peinture me direz-vous ?


Libre à vous d’en décider autrement. Si l’eau coule de source ; la peinture nous entraîne dans les méandres où la couleur a recours à l’imaginaire comme vecteur irrésolu d’une théorie des couleurs. Ici, c’est sans doute le cas. L’artiste, femme discrète, nous promet une opération à risques. Anne Johnstone entre dans l’immense réquisition à notre portée de la couleur. S’il y a de l’harmonie, c’est bien par notre œil qu’elle se fait nouvellement. La distant de notre œil à la théorie des couleurs est telle qu’une harmonie ne devient possible qu’à évaluer cet écart par l’intelligible déplacement de l’œil face à la peinture à décoder, à rechercher. Il y va de l’harmonie parce qu’il y a recherche et déplacement.

Par ces vibrantes occurrences qui courent tout autour de la toile, promontoire à d’innommables destins dont notre mémoire n’a de cesse d’encarter la visibilité, la peinture donne naissance au risque d’une incompatible reconnaissance avec l’histoire en cours.



Thierry Texedre, le 7 mai 2023.