samedi 21 novembre 2009

Tous les deux

Il ne se passait rien. Nous étions assis à une table, dehors, près d'un arbre; sous un saule. Nous deux, comme deux étrangers. Sans dire un mot. Le temps passait et emplissait largement l'après-midi ensoleillé. Nos deux mains tendues au milieu de la table commençaient à tournoyer dans nos esprits. Ou peut-être était-ce le plateau en bois qui nous jouait un tour de passe passe. Nous étions dans un autre monde; le monde irremplaçable de l'imaginaire. Non, pas deux personnes en même temps? Je reprenais un peu le dessus des choses de la vie. Je lui lançais: «mais que faisons-nous planté là, comme deux vases sans vie?» Aucune réponse, rien que son regard hagard, fixe, droit et sans rides, lisse; ouvert à toutes sortes de supputations. Pas même sa main qui ne se desserre. Au contraire, je sens comme une force intérieure, une vibrante explosion de ses veines. «Que dis-je, je parle en l'air, pour rien? Et je suis aussi figé qu'elle? ouvre au moins la bouche! Lève-toi...» Elle est droite et son teint est clair, presque blanc. Je me mets à douter de ce troublant risque d'être avalé par la musique de l'imagination. Qu'elle m'emporte loin d'ici, ou qu'elle me rapproche de ma bien aimée. J'en reviens toujours à ce double possible, que deux êtres peuvent en même temps s'évader de l'instant présent. j'en ai presque froid dans le dos. Je ressens déjà quelques frissons, j'ai la chair de poule comme on dit. Toutes ces impressions vont si vite qu'il me serait impossible d'en rendre compte, à la seconde où je vous parle. D'ailleurs je suis inquiet, du présent, si impalpable, rien que d'y penser. Les yeux de la femme sont mi-clos, à peine ouverts, juste assez pour ne pas me questionner. Un voile nous sépare, nous enveloppe, tourne autour de nos deux corps assis. Le feuillage léger du saule pleureur dessine sur la table des tracés imbriqués, emmêlés. Un léger vent nous soulève, et les images changent autour des mains. L'étirement des branches vertes entraînent le feuillu dans une danse immatérielle. Je m'épuisais à trouver une réponse à d'infinies illuminations de nos deux personnes. Touchée par la grâce, la femme tombe en arrière sur une couverture verte, verdure de feuilles et d'herbes folles. Elle s'allonge les bras écartés, les mains lâches. La tête en arrière enfoncée dans l'herbe, au pied de l'arbre dévolu. Le réveil est un véritable cauchemar. «Chéri, que se passe-t-il? Raconte! Je suis là, je t'aime, allons raconte.»

Thierry Texedre, le 19 novembre 2009.

samedi 7 novembre 2009

L'être pensant

Tout autour
du centre de l'esprit
se traite
toutes les opérations
périphéries de
la déraison
de l'imaginaire
de l'infamie
propre à
l'homme
ce centre où
l'esprit a lieu
où il se tient
où il dérive
tant il prend
la pensée pour
l'esprit
l'esprit pour penser
noyau de l'esprit
penser qui tombe
sous les coups
d'arrêt
de la pensée nommée
nom de l'esprit
de l'esprit en veille
état de l'être
être en veille
en veille
veiller
sur l'urgence
qu'il y a de veiller
sur la pensée du centre
de l'esprit
es-tu là le là
du lieu le là du
déchantement
pas celui de la musique
qui ne cesse
elle de rencontrer
l'urgence de penser
pour voir et
entendre
simultanément
ce qui fait que penser
c'est de la chair
de la vie en chair
de cet être cher
sous le bel astre
encore doré
comme adossé
à l'infini avant
de pointer en fond
du fond de l'esprit
cette chaleur
insoutenable qui
vous frappe un instant
pour rien comme ça
juste parce que
c'est une histoire de
temps
que nous ne
pouvons régler sauf
à en finir avec ce
noyau cette aire
impulsé à la vie
vive émotion
de l'esprit qui
tourne court
vertige
vérité de ce
déséquilibre
dénaturé en pleine
face
dans un aveuglant
passage des rayons
du soleil devant
l'oeil
aveuglé
dominé
amené
à ne plus distinguer
que par l'ouïe
le touché
c'est donc cela
l'effroyable circulation
qui va de l'oreille
à la peau
possédée
en possession de ces
moyens montages en
pulsions
d'où émerge le
geste
le geste léger de l'être
douloureux
et empli de tentations
insupportables
insurgé
l'être se met à en
découdre de ce
mal
mal être
privé de la vue
une illumination vient
devient comme nécessaire
au corps mis en chair
c'est d'une vérité criante
la voix
que sort cette soudaine
identité vraie
la vision
la seule vision
que penser
penser pousse à jouir
c'est la flamme
même
de la vie impulsée
impénétrable
animalité du corps
sorti en chair
pour inventer
l'être pensant.

collage sur le Concerto N°3
de Nicolas Bacri

Thierry Texedre, le 6 novembre 2009.