samedi 13 août 2011

Tyrannie de l'âme

Transporté par les événements qui m'inclinent à tout refuser en bloc, je rentre en apnée; passage obligé de cet état conscient à un autre, celui de l'indifférence. À l'extérieur, on s'épanche sur tout ce qui vous rempli d'actes insignifiants, exhortation de cette soudaine envie de domination. À l'intérieur, c'est l'apothéose, le silence domine tout, même les quelques imprécations qui passent par là, ne se mêlent pas à ce doux endroit de liberté. À l'extérieur la foule. Dedans, l'espace infini de ces accords sans notes, la virtualité de l'absence est plus pure que le cristal. On ne peut rien détenir. Même pas de ces mirages traumatiques, on est suspendu à l'insolence en dehors du temps. Le temps est enfin dépossédé. On est la liberté. Les mots jouent avec indécence et bonhomie. Ce sexe est accroché à un croc, on le tire pour le chasser, il s'évade, s'enfuit, va où il peut se vider des remords qui le hantent. Le sexe est ce qui con-fesse à l'impossible évacuation de cette pulsion (latin pulsio, action de pousser) de vie, entre psychique et somatique. Satisfaire ce quoi, objet fœtal qui n'est que l'extrême flou, de cette citadelle excommuniée d'un corps autre, d'un «autre corps», celui de l'étranger, de l'étrangeté. Dedans, point d'étrangeté, tout y est irrémédiablement sans fond ni forme. On peut à loisir interchanger ou laisser aller jusqu'à la déformation. Cette difformité n'est-elle pas la diffraction même opérée par la lumière sur l’œil? Réflexe qui opère une catharsis (en grec signifie purification), moyen ultime ou syncope de la chair? Ce serait le songe qui n'a de force qu'à s'émanciper de la chair. Rêve qui met en pâture tout ce qui entre par tous les pores de la peau. L'arrachement au temps se fait sans risque ni effort. Toutes les guerres ne suffisent pas à refermer les portes de ce paradis démentiel. L'extérieur fait dire de ces démons qu'ils vous dévorent l'esprit jusqu'à la folie. Certains n'en reviendraient pas. Ils voudraient qu'on n'en use point ou avec modération. Ça ferait tourner les têtes, une certaine jouissance aurait-elle lieu là aussi? Ce corps qui jouit de tout et là de rien, remet-il en cause l'objet désiré, pour remettre sur le métier l'érotique impulsion de l'autre force, intérieure celle-là? Je voudrais simplement dire que ce dedans est l'endroit où l'âme s'agite, se livre, vit, dans les bras de sa bien aimée la chair.
Tout le risque est de perdre l'antre, intérieur expulsé. On peut dire que ce qui tient l'intérieur n'est autre que la déraison livrée aux ébats de cette chair immaculée. Ce qui se retourne ici, n'est autre que l'impossible extériorité du corps de chair. Seul ce centre (pièce où tous les points sont sans lieu, autrement dit un centre n'a lieu qu'à ne jamais rencontrer son point de fixation) rencontré est le temps dépossédé de sa géométrie. Cet ouvert/fermé de l'intérieur est une apostrophe et une hypothèse: l'âme s'adresse au corps pour l'exalter, ce serait une rhétorique du corps souffrant. Aucune fiction n'aura de cesse d'articuler cet autre extérieur, réalité de deux hémisphères qui vont s'imprégner l'une de l'autre, pour que ce corps dépense la terreur de l'âme en dérive de la pensée. Corps pensant de la dépense dans une tyrannie de l'âme envers ce corps extérieur. On penserait parce qu'on se risquerait à «rendre l'âme». Un combat sur quoi on finirait un temps, pour reprendre souffle avec le corps intérieur, coup d'arrêt de la vie dans une découverte de l'âme en fin de vie. Touche finale du grand chambardement de la posture humaine qui se tient d'aller dans un balancement saisissant de l'extériorité vers son introduction: le commencement de l'âme c'est l'indistinction du verbe, du dire, de la parole, et de l'étant dans la vulgate, écriture de la vision intérieure.



Thierry Texedre, le 7 août 2011.