lundi 3 novembre 2025

Daniel Crews-Chubb peintre

 





















Daniel Crews-Chubb peintre


Daniel Crews-Chubb est un artiste britannique, né en 1984 à Northampton (Angleterre). Il vit et travaille à Londres.

Daniel Crews-Chubb peut être vu comme un héritier de Willem de Kooning en ce qu’il partage la vigueur picturale, le goût pour le geste, la matérialité de la peinture et le flou entre figuration et abstraction. Cependant, il dépasse la simple continuation en intégrant une conscience post-historique (références antiques, supports retravaillés, médias mixtes) et en rendant le processus de peinture lui-même visible sous forme d’accumulation, de collage, de superposition. En d’autres termes, alors que de Kooning se focalise sur l’acte pictural et le corps-peinture dans un contexte moderniste, Crews-Chubb élargit ce geste vers l’archéologie visuelle, les cosmologies antiques, les artefacts historiques, les divinités précolombiennes, la mythologie hellénique, l’expressionnisme abstrait, la sculpture et l’image contemporaine comme matériau. En peinture, tout se joue en même temps.

Héritière de Willem de Kooning et de la peinture baroque, Cecily Brown, de son côté, brouille la frontière entre érotisme et abstraction. Ses toiles denses, traversées de touches charnelles et liquides, évoquent à la fois orgies mythologiques, batailles ou fragments de corps. Chez elle, la peinture devient métaphore du désir, une surface mouvante où l’œil cherche sans jamais saisir. Le geste est fluide, musical, pulsionnel — un acte de sensualité picturale, s’ouvrant à l’éros du geste — autant qu’une réflexion sur le regard masculin et la peinture d’histoire. « La peinture doit être charnelle, ambiguë, pleine d’appétit. » — C. Brown. Là où Brown se livre à une sensualité picturale, où le sujet s’invite à l’érotique hystérisant son réel, Crews-Chubb détourne la tradition expressionniste vers une exploration du rituel et de la texture. Ses figures – dieux, héros, totems ou bêtes – apparaissent dans une épaisse stratification de tissus, de sable, de peinture et de charbon. La toile devient un relief, un palimpseste : le peintre y rejoue la lutte entre contrôle et chaos. Il n’illustre pas le mythe : il le fabrique dans la matière même, cherchant une authenticité brute, anti-polie. « Je peins comme on reconstruit une ruine. » — D. Crews-Chubb. Cecily Brown et Daniel Crews-Chubb participent tous deux à une redéfinition de la peinture figurative contemporaine : Ils refusent la distance ironique ou conceptuelle de la peinture des années 2000. Leur œuvre assume la présence du corps – celui du peintre comme celui du spectateur. Chez Brown, cette corporalité se manifeste dans la jouissance du regard ; chez Crews-Chubb, dans la matérialité du faire.

Ainsi, Brown resexualise le geste pictural, tandis que Crews-Chubb re-matérialise le mythe.

L’une explore l’éros du visible, l’autre le rituel du visible. Tous deux mettent en pratique l’insignifiante exploration d’une figure fragmentée par ce réel qui avalise l’éclatement du sujet, dans une temporalité que la matière travaille toujours avant toute représentation, celle peut-être d’une reconnaissance, d’un sens encore et toujours aliéné.


Thierry Texedre, le 3 novembre 2025.






Peter Reginato peintre

 












Peter Reginato peintre

De la dilution


En peinture surtout, pourquoi ce rapport philosophique entre fond et forme, c'est-à -dire ce qui du passé en l'occurrence chez Matisse ou Picasso se trame déjà de la forme entrain de démultiplier la figure dans une rythmique qui chez Peter Reginato se renversera en un risque de reconnaître l'espace d'une indétermination du fond et de la forme passées ?


Peter Reginato est né en 1945 à Dallas (Texas) aux États-Unis. Il a grandi dans la région de la baie de San Francisco (Berkeley/Oakland en Californie). Vit et travalle à New York.

Bien que souvent identifié comme sculpteur, Reginato est à la fois peintre et sculpteur abstrait. Dans ses peintures récentes, il explore des compositions abstraites avec couleur, forme, dessin — interrogeant la relation figure-fond, et cherchant à transcender certaines conventions de l’abstraction.


Chez Peter Reginato, la peinture n’est pas ce qui se montre, mais ce qui s’invente dans la tension du visible. Elle n’est pas surface ni forme, ni fond, mais la vibration qui passe entre ces termes et les rend inassignables. Ce que l’œil rencontre, dans certaines œuvres, n’est plus un espace ordonné où la figure se détache, mais une zone d’incertitude où le regard lui-même devient matière. Le fond, que l’on croyait passif, y agit comme un champ de forces ; la forme, loin de s’y imposer, s’y dissout, s’y reforme, s’y égare. Ainsi la peinture ouvre un espace où rien ne précède, où tout advient.

Ce qui se montre, c’est l’essence même de la couleur chez un Matisse, mais sans objectiver sans une reconnaissance de la forme et du contour. Les couleurs sont vives et se déplacent en blocs qui se dissolvent à mesure qu’on croit y voir une formation, un objet, une masse structurante.

Ce qui se joue là, c’est moins l’abstraction que la disparition de toute hiérarchie perceptive. Le visible ne s’organise plus selon la figure et son support, mais selon un rythme, un mouvement d’apparition et de retrait. La peinture devient un devenir, un passage continu entre ce qui s’affirme et ce qui s’efface. Dans cette oscillation, le fond cesse d’être le lieu d’un en dessous : il devient présence, souffle, champ d’énergie, peut-être même mémoire de la forme qui s’y rejoue autrement. Ce qui s’y déploie n’est pas la forme elle-même, mais le moment où elle risque de n’être plus reconnaissable. Peindre, dès lors, revient à faire exister cette instabilité, à maintenir vivante la possibilité du basculement. Il n’y a plus de ligne de partage entre l’acte et son résultat : la forme se trace dans son effacement, le fond s’épaissit à mesure qu’il se vide. Dans la matière, tout devient réversible. La couleur ne décrit plus, elle agit ; elle n’appartient ni à la forme ni au fond, mais au passage entre eux, à l’entre-deux où le visible se forme et se défait simultanément.

Cette peinture ne cherche pas à représenter le monde, ni même à en proposer une abstraction : elle pense le visible pour le diluer comme une expérience du devenir. Elle devient instabilité dans le réel, dans l’acte de peindre, dans l’être coloré. Elle ne montre pas ce qui est vu, elle montre que voir est un acte instable, un mouvement sans centre. Le fond et la forme ne sont plus des catégories, mais des moments d’un même souffle : ce qui se détache appelle déjà son effacement, ce qui s’efface prépare sa réapparition. L’espace pictural n’est plus le lieu d’un ordre, mais le théâtre d’une métamorphose continue. Le risque est là : que rien ne se fixe, que la peinture reste ouverte, traversée par ce doute lumineux où le regard ne sait plus ce qu’il reconnaît. Mais c’est précisément dans ce risque que s’invente une pensée : celle d’un visible qui n’appartient à personne, d’un espace où la forme n’est plus le signe d’une maîtrise, mais l’épreuve d’une liberté. La peinture ne dit plus : « voici ce qui est », elle murmure : « voici ce qui devient ».

Alors le fond et la forme cessent d’être des pôles, ils deviennent les deux faces d’un même acte. L’un appelle l’autre, se traverse, se dissout dans l’autre. La peinture, en ce sens, n’est pas l’art de poser des formes sur un fond, mais celui de penser le fond comme forme en devenir. Ce n’est plus un geste de construction, mais un geste d’exposition : exposer la matière à son propre passage. Peindre, c’est laisser le monde se redire sans contours, dans la lente oscillation d’un visible toujours recommencé.

Peter Reginato nous oblige peut-être à nous souvenir que l’histoire de la peinture puise dans ce qu’un sujet contemporain rencontre, puisant ainsi dans la mémoire collective et historique pour atomiser une peinture qui se montre et épuiser alors sa reconnaissance acquise. Sa dilution improvisée n’a d’improvisation que ce que le regard peut de perdre cette reconnaissance, la spontanéité du réel.



Thierry Texedre, le 29 octobre 2025.