lundi 22 décembre 2025

Thomas Scheibitz peintre de la chose

 



Nature morte / Zone, 2025, 180 x 270 cm


 Thomas Scheibitz peintre de la chose


Né en 1968 à Radeberg (ex-RDA) et installé à Berlin, il s’est imposé à partir des années 1990 avec une œuvre située à la frontière entre figuration et abstraction. Ses tableaux donnent souvent l’impression de représenter des objets, des paysages ou des architectures, mais ces motifs restent volontairement ambiguës, instables et difficiles à identifier.

Ses peintures nous montrent des objets flottants, des constructions sans résolution logique, et avec des perspectives décalées. Les couleurs sont sourdes ou franches, renforçant l’étrangeté des scènes. On y perçoit des échos du cubisme, du constructivisme, ou du surréalisme, sans citations directes. L’artiste réalise aussi des sculptures et des dessins ; sa peinture elle-même a souvent une dimension très « plastique », presque architecturale. Son œuvre interroge la façon dont nous percevons les formes, ainsi que le statut de l’image à l’ère contemporaine. Les tableaux résistent à toute interprétation narrative claire créant un sentiment de tension mentale. Ce peintre serait donc le « peintre de la chose » d’une intensité qui fait de l’objet une interaction entre le sujet et son questionnement. Chez Scheibitz, l’objet n’est ni un simple motif, ni un symbole lisible : il est une zone de tension, un point de rencontre entre le regardeur et ce qui résiste à l’identification. Dans ses peintures la « chose » semble reconnaissable, mais se dérobe aussitôt ; n’existe jamais indépendamment du regard qui tente de la saisir ; devient un dispositif de questionnement plutôt qu’un élément descriptif. Couleurs, volumes, plans et perspectives forcent le sujet à s’interroger sur ce qu’il voit et comment il le voit. On pourrait dire que Scheibitz ne peint pas l’objet, mais l’acte même de l’objectivation. La chose est toujours entrain de se former – ou de se déformer – sous le regard. Elle est trop construite pour être naturelle, trop énigmatique pour être fonctionnelle, trop précise pour être pure abstraction. La peinture devient un lieu de pensée. C’est là que le sujet questionne.

Chez Thomas Scheibitz la chose n’est jamais donnée, c’est un frottement entre la peinture et le regard qui questionne. Regarder c’est « regarder comme ça ». Le regardeur n’est pas extérieur à l’oeuvre. Il est pris dans une incertitude, celle de l’objet, qu’il soit en cours d’être peint dans sa finitude ou de rester dans une latence qui dévisage alors le regardeur, Picasso s’y retrouve enfin. D’accepter que le tableau soit moins une réponse qu’un état de pensée visuelle.



Thierry Texedre, le 22 décembre 2025.