samedi 14 juin 2025

Gabrielle Kourdadzé

 




























Gabrielle Kourdadzé



Gabrielle Kourdadzé est une artiste plasticienne franco‑géorgienne née le 16 juin 1995 à Paris, où elle vit et travaille Diplômée en 2019 de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) à Paris, elle a aussi exploré la scénographie, l’illustration, la photographie, la sérigraphie et la gravure. Parallèlement à ses études artistiques, elle pratique activement la musique (piano, accordéon, chant) et explore la synesthésie, comme dans une performance de 2016 lors de son certificat de piano.


Style & thématiques

Sa démarche se centre sur le dessin à l’encre : elle utilise un pinceau épais et sec, travaille des superpositions de lignes, parfois enrichies avec du crayon de couleur ou de la gravure sur bois. Les œuvres mettent en scène des figures humaines (souvent anonymes et à taille réelle) captées dans des moments presque photographiques — dans le métro, la rue, ou issues d'images d’actualité — placées sur des fonds monochromes, créant un suspens visuel entre présence et absence . Les compositions explorent la notion d’altérité, d’interaction entre corps, et l’espace social. Elle évoque la solitude partagée, les liens symboliques et la narration silencieuse suscitée par les postures et notamment par le geste des mains .


Un fragment d’histoire plus vaste : la narration suspendue

Les œuvres de Kourdadzé fonctionnent comme des fragments narratifs sans dénouement. Le regardeur est placé face à une image arrêtée — une pause temporelle — qui évoque un "entre-deux" : ni début ni fin, simplement un instant arraché à une trame plus vaste. Ce temps suspendu ouvre un champ de projection : l’image ne raconte pas, elle questionne. Ce mode de représentation génère une forme de cinématographie latente. On pense au montage d’un film : l’image semble venir d’avant, et se prolonger après — mais dans le hors-champ de notre propre conscience. L'œuvre devient un point d’interrogation figé, un dispositif qui fait appel à notre mémoire et nos affects pour en compléter le récit.

La figure humaine comme interface entre deux mondes

Dans son travail, la figure humaine est omniprésente, mais jamais isolée : elle est toujours en relation, parfois par la proximité spatiale, souvent par le geste, les postures, ou les regards absents. Ces personnages n'interagissent pas toujours explicitement, mais leur simple juxtaposition fait naître une tension. Kourdadzé oppose deux mondes : Le monde intime / intérieur, qu’on pourrait associer au silence, à l’introspection, au sensible. Le monde social / extérieur, peuplé, codifié, urbain, visible. Fragmenter le réel, habiter le silence.

Gabrielle Kourdadzé et les corps en suspens

Chez Gabrielle Kourdadzé, la figure humaine ne s’impose pas : elle apparaît doucement, comme arrachée au flux du quotidien. Ce sont des corps urbains, contemporains, silencieux. Ils ne posent pas, ils ne racontent rien — mais leur simple présence ouvre une brèche dans le visible. Il ne s’agit pas de représenter un moment, mais de saisir un fragment d’une histoire plus vaste, un instant suspendu entre intériorité et altérité.

Dans ses compositions, la figure humaine n’est jamais isolée. Elle est toujours en présence de l’autre, mais cette proximité n’assure aucun contact réel. Corps côte à côte, regards absents, gestes suspendus : Kourdadzé peint la porosité du lien, cette tension discrète mais constante entre soi et le monde. Ce n’est pas la solitude qu’elle donne à voir, mais le désajustement des présences, la coexistence sans fusion. L’espace joue ici un rôle déterminant : vidé de détails, souvent monochrome ou effacé, il n’entoure pas la figure, il la détache. Le fond devient un lieu mental, une surface d’attente. Cette décontextualisation du corps agit comme un levier poétique : en le libérant du cadre réaliste, Kourdadzé en accentue la fragilité — et la force.

Si son travail dialogue avec des artistes comme Francis Bacon, c’est dans une opposition significative : là où Bacon hurle, Kourdadzé murmure. Tous deux placent le corps au centre, non comme simple figure, mais comme révélateur d’un état de l’être. Chez Bacon, la chair se tord sous la violence de l’existence ; chez Kourdadzé, le corps flotte, s’absente partiellement, suspendu dans un espace social devenu opaque. À l’inverse, Claire Tabouret partage avec elle une sensibilité plus intériorisée. Tabouret peint des groupes d’enfants ou d’adolescents, figures fixes et rituelles, chargées d’une mémoire collective implicite. Kourdadzé, elle, travaille l’adulte contemporain, plongé dans une temporalité immédiate, mais tout aussi traversé par le silence. Les deux artistes explorent la présence mentale du corps, son pouvoir d’évocation au-delà du visible.

Ce qui relie profondément ces démarches, c’est une même volonté de penser la figure autrement : non comme sujet d’un récit, mais comme interface sensible entre l’intime et le collectif. Chez Kourdadzé, le corps devient un lieu de passage, un espace où se rejouent — dans l’apparente simplicité d’un geste ou d’une posture — les grandes questions de notre être au monde.



Thierry Texedre, le 14 juin 2025.