Introspection
… Gesticulation
du corps étriqué, repus et replié dans un coin de la pièce, comme
si, recroquevillé les jambes et les bras cachés sous un dos
plantureux, on n'apercevait malgré tout que le tronc roulé en boule
et rétif. Ravagé le visage aux traits tirés se redresse et prend
toute la place dans la pièce ; on entrerait incidemment dans la
chambre, alors, ne verrait-on pas, et avec quel effroi,
l'extravagante image de la folie... Le médecin de garde s'approche
du patient, tente de rassurer, par quelques mots choisis et puis rien
n'y fait, le sujet semble pris de tremblements, et on entend sa voix
qui se risque à dérayer... Comme si ces sons aigus sortis du fond
des âges pouvaient ralentir la vie ici, dans ce lieu austère de la
psychiatrie... Le sol est carrelé de faïence blanche, et les murs
peints en bleu gris. On entend dans le grand couloir un appel au
loin, une lumière rouge clignote au-dessus d'une porte entre
ouverte. On voit deux blouses blanches s'affairer à toutes jambes
avec un chariot qui grince avec la vitesse. Un cri violent traverse
la cour, peut-être que d'autres patients ont entendu ces
vociférations d'un mal-être... Puis plus rien. Un peu après, d'une
autre chambre un cri qui rappelle celui précédent, comme la
répétition d'une œuvre musicale entrain de s'écrire... Voilà un
médecin interne qui passe à son tour accompagné de ses deux
étudiantes aux bras serrés contre leur blouse dévergondée et
possédée par l'air ambiant ; certainement pour ne pas perdre
des dossiers aux couleurs très vives, et qui déteignent, et qui
dévisagent dans l'ambiance terne des lieux...
Double
séquence dans les plis de la visitation
...Quelques
patients donnent l'impression d'être anonymes, comme dépossédés
de cette mémoire ( qui pour être immédiate n'en est pas moins
improvisée), au passage des visiteurs depuis les couloirs menant aux
salles de repos, salle à manger, et à l'entrée principale de
l'établissement. Deux blouses blanches s'entretiennent discrètement
avec un petit groupe de personnes dont la souffrance intérieure n'a
pas l'apparence, au-dehors, d'une perturbation, ni du regard, ni du
mouvement des corps. Les portes des chambres du rez -de-chaussée
sont ouvertes en grand, comme si ces lieux garantissaient aux
résidents la même bonhomie qu'un établissement de repos. Pourtant
à y regarder de plus près, tout semble bien différent. Quand on a
accès au personnel soignant, il vous explique que les patients ont
des soins très rigoureux ici, c'est un centre psychiatrique où les
malades sont traités avec des psychotropes (neuroleptiques,
antidépresseurs, thymorégulateurs, anxiolytiques), et parfois si
nécessaire des traitements biologiques (électro-convulsio thérapie,
stimulation magnétique transcrânienne répétée). La peur vient
inonder tout mon être, comment soigner alors, si les limites de
chacun commencent où le commun se sépare de cette représentation
(existentielle), dans une mémoire dont on sait qu'elle n'a pas de
sens sans une mise en question de sa dépendance au temps, pour
inquiéter l'espace (l'esprit futur), le « raccourcir »
pour ne pas tomber dans les griffes du fou (l'usurpateur)...
Thierry
Texedre, le 24 juillet 2014.