mardi 22 juillet 2014

Introspection










Introspection


Gesticulation du corps étriqué, repus et replié dans un coin de la pièce, comme si, recroquevillé les jambes et les bras cachés sous un dos plantureux, on n'apercevait malgré tout que le tronc roulé en boule et rétif. Ravagé le visage aux traits tirés se redresse et prend toute la place dans la pièce ; on entrerait incidemment dans la chambre, alors, ne verrait-on pas, et avec quel effroi, l'extravagante image de la folie... Le médecin de garde s'approche du patient, tente de rassurer, par quelques mots choisis et puis rien n'y fait, le sujet semble pris de tremblements, et on entend sa voix qui se risque à dérayer... Comme si ces sons aigus sortis du fond des âges pouvaient ralentir la vie ici, dans ce lieu austère de la psychiatrie... Le sol est carrelé de faïence blanche, et les murs peints en bleu gris. On entend dans le grand couloir un appel au loin, une lumière rouge clignote au-dessus d'une porte entre ouverte. On voit deux blouses blanches s'affairer à toutes jambes avec un chariot qui grince avec la vitesse. Un cri violent traverse la cour, peut-être que d'autres patients ont entendu ces vociférations d'un mal-être... Puis plus rien. Un peu après, d'une autre chambre un cri qui rappelle celui précédent, comme la répétition d'une œuvre musicale entrain de s'écrire... Voilà un médecin interne qui passe à son tour accompagné de ses deux étudiantes aux bras serrés contre leur blouse dévergondée et possédée par l'air ambiant ; certainement pour ne pas perdre des dossiers aux couleurs très vives, et qui déteignent, et qui dévisagent dans l'ambiance terne des lieux...

La folie n'est-elle pas le lieu inhospitalier d'un enfermement dans la représentation, de ce risque infondé d'extraire le "vrai" du temps, de ne jamais rencontrer l'inextricable liberté de jouir.

Double séquence dans les plis de la visitation

...Quelques patients donnent l'impression d'être anonymes, comme dépossédés de cette mémoire ( qui pour être immédiate n'en est pas moins improvisée), au passage des visiteurs depuis les couloirs menant aux salles de repos, salle à manger, et à l'entrée principale de l'établissement. Deux blouses blanches s'entretiennent discrètement avec un petit groupe de personnes dont la souffrance intérieure n'a pas l'apparence, au-dehors, d'une perturbation, ni du regard, ni du mouvement des corps. Les portes des chambres du rez -de-chaussée sont ouvertes en grand, comme si ces lieux garantissaient aux résidents la même bonhomie qu'un établissement de repos. Pourtant à y regarder de plus près, tout semble bien différent. Quand on a accès au personnel soignant, il vous explique que les patients ont des soins très rigoureux ici, c'est un centre psychiatrique où les malades sont traités avec des psychotropes (neuroleptiques, antidépresseurs, thymorégulateurs, anxiolytiques), et parfois si nécessaire des traitements biologiques (électro-convulsio thérapie, stimulation magnétique transcrânienne répétée). La peur vient inonder tout mon être, comment soigner alors, si les limites de chacun commencent où le commun se sépare de cette représentation (existentielle), dans une mémoire dont on sait qu'elle n'a pas de sens sans une mise en question de sa dépendance au temps, pour inquiéter l'espace (l'esprit futur), le « raccourcir » pour ne pas tomber dans les griffes du fou (l'usurpateur)...



Thierry Texedre, le 24 juillet 2014.