jeudi 3 novembre 2022

Et si Bianca Argimon dansait avec l'histoire






 
















 Et si Bianca Argimon dansait avec l’histoire


« Certains des traits les plus caractéristiques de l’œuvre d’Argimon – couleurs claires, imagerie bucolique, manière picturale enfantine et absence de scènes explicites – leur confère une deuxième couche de sens… Derrière les allusions subtiles à l’histoire de l’art », Bianca Argimon pousse l’histoire dans ses retranchements. L’artiste prend acte d’une certaine corrélation entre passé et futur, dans sa mise en abîme du présent sur la toile. « La mise en scène de ses personnages évoque le tempérament ambivalent de la société contemporaine et remet inlassablement en question les valeurs établies comme d’une trame morale, les politiques, l’ordre social, ou encore les bien-fondés artistiques. » Peut-on encore soutenir une représentation du monde présent sans oublier l’espace intermittent de la pensée et l’imaginaire ; de leur irruption pour écarteler l’histoire jusqu’à cette guerre avec le sens, obligeant par là, à opérer un tissage passionnel en raccourci, épuisant alors le regard à reconnaître la scène contenue dans la peinture, le regard ne pouvant plus s’installer pour résister à la lumière frénétique du visage aveuglé. Le talent de l’artiste ici, nous promet de subtiles récréations à polémiquer, danser, métamorphoser un réel pour le soumettre au rire et à la folie. Les peintures distillent un certain savoir à rebours convoqué dans un espace où des créatures « pâles » identifiables, semblent nous mener dans un chaos sans fin vers de brutales métamorphoses au combat. Les peintures sont pâles dans leur ensemble, comme pour obliger l’œil à s’approcher du fond, vers les bords puis en diagonale, sans jamais y retrouver la perspective originelle à l’histoire de la peinture. Si l’esprit la recherche toujours, c’est ici pourtant que Bianca Argimon mesure la distance, l’esprit qui aujourd’hui fait naître un désir en excès que l’histoire a démontré comme constance. La peinture met en défaut l’approche incertaine, mais démontrant cette défense qui nous leurre, de l’histoire, en faisant danser ses objets sur la toile, utilisant les rythmes d’une peinture dessinée en manipulant la naïveté d’un « faire voir » illustré. La période contemporaine prend place dans les peintures de Bianca Argimon pour nous déplacer sur la toile avant même l’esprit devant celle-ci.





Thierry Texedre, le 3 novembre 2022.


Bianca Argimon (1988-)

artiste peintre, dessinatrice et sculptrice

née à Bruxelles, Belgique

vit et travaille à Paris










 

lundi 24 octobre 2022

L'inséparable n'est pas le temps























 L’inséparable n’est pas le temps

La peinture de Fabian Treiber


Nous voici pris dans l’impossibilité d’extraire du temps ce qu’une peinture montre d’un ressenti. Il y a comme une séparation depuis ce regard qui s’octroie l’irremplaçable objet (l’objet chez Marcel Duchamp), césure entre la pensée et le regard, la peinture et l’image. Ici, le peintre montre un peu du réel (une fraction de cette pensée trop mise en avant dans cette espèce de défiguration du début du vingtième siècle chez Picasso), un peu de l’altérité de ce qui pense le réel, pour le montrer, l’annihiler, le réduire dans une liaison picturale. La pensée commence quand on débusque l’inattendu. La peinture est alors un relais imprévisible. Si l’humain aujourd’hui consomme de l’image par une addition/addiction de transferts au seul motif qu’elles appartiennent ou apparaissent, usurpant ce réel, cassant tout territoire, toute appropriation, pour qu’une érotisation vienne se glisser en continu comme doublure du réel, voile obscure d’une probable intériorité retroussée, telle qu’une peau est arrachée à la chair. Si la technologie nous permet de transporter les images, d’inventer de nouveaux repérages spatiaux, la peinture donne à voir ce que le spectateur seul dispose de sa dispersion spatiale à regarder ; en passant devant une peinture supposée le lieu fixe de la bataille mentale qui se joue devant lui. Si le spectateur intervient de son regard à envelopper l’espace du peint, ici ce serait celui des peintures de Fabian Treiber.


C’est parce que d’une sidération, du flot d’images, il lui incombe d’essayer de transférer ces images à celles de la peinture dans une mise en tampon de leurs différences, depuis des difficultés à opérer une signifiance. Il se passe une stabilisation médiumnique, un relais, puisqu’il y a là comme quelque chose d’inattendu. L’artiste peint ce flot, sans fabriquer l’image (le motif) lié à son entourage, il sait que le motif n’est pas le seul facteur décisif. C’est donc par un mélange d ‘éléments « archaïques » et actuels que va se jouer l’imbrication picturale (ici, l’imbrication est une réserve, un droit d’interpeler la mémoire du peintre contre ces images toutes faites et reconnaissables.). « Je n’ai jamais été d’avis que le facteur décisif était le motif seul et tout aussi peu le matériau utilisé. » Fabian Treiber nous montre des paysages qui gravitent entre figuration et abstraction. L’intention de cette peinture est bien celle qui nous questionne sur l’objet placé et remplacé, placé et déplacé, effacé ou deviné, avant son apparition à l’endroit même où il sera placé sur la toile ; d’avoir été pensé comme objet/motif.


La peinture semble nimbée, sublimée. Les couleurs (palette de roses, de bleus gris, d’ocre rouge, de verts jaunes, de jaunes acidulés) s’estompent se noient en fondus (pour confondre l’objet) dans de grands espaces réalisés à l’aérographe ou à l’aérosol, comme pour faire flotter la résistance à l’image. Le regard plonge dans ces natures mortes, ces intérieurs, pièces où le spectateur perd tout axe, tout change de direction sur la toile. Il y a partout (dans le monde et sur la toile) une consommation d’images, de les consumer contre une « panne » d’imaginaire. Cette impotence marque aussi une sorte d’abandon avéré, un flottement des discours sur la peinture. L’artiste intervient formellement dans ses peintures car la narration n’a pas le privilège de l’imaginaire. Fabian Treiber nous montre ici ce qu’une peinture peut d’extraire l’image, pour laisser passer l’inattendu. Ou comment le dire depuis ce regard de la dépense, regard d’une mémoire déclenchée « à ce jour, abstrait et matériel ne sont pas des termes de bataille qu’il faudrait choisir ou qu’il faudrait jouer l’un contre l’autre, il s’agirait simplement d’une sorte de mémoire que ces inscriptions et traces peuvent déclencher. ».




Thierry Texedre, le 20 octobre 2022.



Fabian Treiber (1986-)

artiste peintre allemand

né à Ludwigsburg, en Allemagne

vit et travaille à Stuttgart, en Allemagne







De l'invisibilité ou le corps sans nom des peintures de Pia Fries























De l'invisibilité ou le corps sans nom des peintures de Pia Fries

   

Entretenir une relation, un va-et-vient incessant au milieu même de cette dérive du peint, pour couvrir tout le spectre de ce non-sens du « vrai », le résoudre, le rapporter au milieu du dessein qui inaugure l’œuvre d’une création intemporelle. Le ramener, « aller le chercher » comme on dit, pour attenter au corps d’écriture, le maudire, le sacrifier (rejet, pour mieux résoudre l’énigme d’un corps d’écriture devenu l’image plus que la chair qu’une peinture peut de ne plus signifier tout sens), invitant toute écriture à le rejoindre. Couper dans l’écriture pour montrer qu’une peinture existe, à ne démontrer que de son corps la chair de la chair tient bon. C’est l’incertitude d’une apparition qui frôle le corps de la peinture. Comme si l’indécence de la naissance remontait. Fond incompressible du corps, d’un corps sans nom.


Ici, la mémoire prend en charge l’inadéquation d’une vérité qui solderait la conscience dans une annonciation sans partage ; le partage n’étant possible qu’à naître dans une intermittence de l’écriture et de la peinture, comme disposition d’une temporalité sans cesse démontrant la fuite en avant de toute image, sauf à la laisser tomber sur les rebondissements assourdissants des ondes lumineuses où rien ne se tient de la peinture, où rien n’est lié à l’audible, où rien ne peut se dire, sinon se livre dans une usurpation, un détournement du sens. La pensée « gnose » la chair jusqu’à l’oublier (manques, saturation et nausée, vomissements en mots illisibles se déversant sur une peinture qui semble naître), pour vaincre cet asservissement au nom. L’énonciation n’est plus le lieu d’un nom, mais rencontre dans un corps-à-corps avec la peinture, cet esprit, point d’accès, rituel, au risque toujours démesuré depuis l’origine, cette grande mémoire. Mémoire d’une éruption où aucun corps d’écriture ne sera le lieu, d’une peinture où l’image se produit, comme d’une certaine finitude inopérante. L’invisible se meut pour que se risquent l’être et le non-être. D’un lien qui referme cet infini objet en « chose » pensée comme l’affirmation et l’extension d’un « lien social » (qui nous abreuve de ses finitudes). L’itinéraire d’un corps n’est pas celle d’un assujettissement au verbe, mais celle qu’une déconstruction aura à soustraire aux codes et lois ce corps, pour lui restituer l’origine, avant l’être ; quand une peinture peut faire s’émouvoir le peintre au plus loin d’une mémoire qui referme le réel sur ce qu’il en est du vrai. Un corps né pense parce qu’il peut reproduire, organiser, « mettre en sons » les mots devenus irrecevables (un inconscient, le non-dit, puisque c’est déjà irrecevable à le dire pareille.) à saturer « le sens » et l’identification. Une reconnaissance verbale a donc lieu, comme pour annuler celle-là antérieure. Ce corps ira maltraiter et/ou travailler les mots en un rassemblement, un corps, et le reconditionner pour communiquer enfin. Un corps n’est pas seul, quelque chose le traverse, l’autre s’en mêle, représentant ce quelque chose d’une mémoire qui s’étreint avec un corps double. Une lutte incessante commence au moment où le regard divise ce sens, sépare pour représenter. Il y aura la formation d’un nouvel être.


Je veux savoir ce qu’il en est de cette peinture, de ce désir, parce que je sais que je crois. C’est un coup de foudre. Le besoin de croire est pré-religieux, pré-politique, il s’identifie à un tiers, à un nom. C’est une histoire d’émoi, mais pas seulement, c’est une translation. Le sujet cherche à résoudre cette invisibilité qui pousse à croire. Le « nom » peut s’identifier à mesure qu’on déchiffre ce qui influe sur ce ressenti, éprouvant ainsi la manière dont les figures sont représentées. On y verra apparaître des bribes végétales, des fleurs, de l’écorce, certaines images noueuses comme des méandres, des aplats de peinture pure, et aussi la nature humaine ; le corps humain est recouvert de fines grilles. Sur la toile, se déplacent ces formes en apparition ou disparition selon qu’on entre dans le fond ou sur le devant de la peinture. On croirait presque des peintures de Sam Francis. Le mouvement de la peinture emprunte à des torsades et des volutes combinant des couleurs intenses sorties du tube, à des formes plus reconnaissables embrassant ainsi la réserve du fond (une certaine réserve des couleurs) à découvert et le plus souvent blanc, une sorte d’absence un manque mental, tel « un blanc », d’où s’échappent ces bribes figuratives (d’où semble se côtoyer les couleurs souvent ciselant et cisaillant la toile, mais encore se partageant le fond blanc à égalité de vision). C’est un signe, celui de la vie. Du côté de la matière colorée, pas tout à fait abstraite ni trop figurative, un relief redondant se décline sur la toile. Ces œuvres abstraites se transforment en tableaux-objets. C’est tout cela la peinture de Pia Fries héritière de Gerhard Richter.



Thierry Texedre, le 7 octobre 2022.


Pia Fries (1955-)

artiste peintre Suisse

vit et travaille à Düsseldorf et Munich







 

jeudi 29 septembre 2022

D'un corps ténu


 


D’un corps ténu


Vrille l’indécence du temps

sous les coups de l’attentat

sur quoi l’intérieur senti

face à terre s’efforce s’essouffle

se dissout inorganisable et fou

fragilité de la douceur trouée

dansant en rond pour jeter

pèle mêle l’inorganique orgasme

d’un corps martelé et aplati

afin d’apparaître dans l’ivresse

de l’absence tel un mort debout

sur le seuil de l’éternité

aux portes du paysage

tant dévisagé que croire

revient en course en vie

le corps entendu d’un son

bruyant et maternel matière

qui commence à se déliter

avant que ce corps interdit

par la loi ne vole tout en morceaux

du sang déversé aux plaies jetées

là est la chair calculée qui vit

et se concrétise la substance ténue

la lumière inaudible d’un jour fini

dans la noire possession du ventre

exécuté de ce monde étreint

pour toujours car c’est l’imposture

qui règne aux aurores de l’au-delà.



Thierry Texedre, le 28 septembre 2022.



*D’après la symphonie N°15 « Hommage à Mozart » de Gloria Coates

Deuxième partie d’un texte écrit le 27 octobre 2014 (D’un corps à l’autre)






mercredi 28 septembre 2022

Katherine Bradford et le détournement



















































 Katherine Bradford et le détournement


Tout chez Bradford nous montre une alternance, quelque chose qui a à voir avec l'impropre. Il s'agit d'un détournement des saveurs, de la représentation humaine, du regard imposé dehors ; c'est « le hors de soi » qui gouverne encore et toujours.

L'artiste montre ce qui monte en chacun de nous, cet espace dont on sait qu'il ne sera visible qu'en rêve (notre réel est révélé intérieurement, comme pour remodeler celui extérieur qui avec le temps n'a de cesse de se dissoudre.), si les rêves reconstruisent l'espace intérieur, à cause de nos invectives qui coupent l'espace parsemé d'atomes ; en ce qu'un corps fragmenté aura d'identifier par la chair, le sus rêve (qu'il soit diurne ou nocturne). Si la palette de l'artiste est pleine de ces couleurs acidulées qu'un Mark Rothko rendait possible au regard, ici, la profondeur de Rothko ( « ses champs rectangulaires planant sur fond broussailleux » ) se retrouve plus existentielle chez Katherine Bradford, plus traduite, tout en restant émotionnellement en communion dans ses champs de couleur lumineux, au risque de perdre son origine abstraite dans des représentations de figures souvent « aplaties » et travaillées dans la simplicité formelle qui les caractérisent. C’est en ces termes que va apparaître la chair, la peinture nous plonge dans la profondeur (le terme de la chair passe du côté de l'espace, celui que le rêve inaugure, fut-il éveillé, dans un récit) que se juxtaposent les explorations de Bradford. Ses thèmes récurrents soulignent la solitude, les rôles de genre, la conscience et le rêve.

La peinture de Katherine Bradford est un choc entre l’abstraction de ses débuts et la figuration actuelle. Il y encore ce détournement opéré sans entrer dans une complétude figurative. C’est une peinture qui s’ensuit, se lit, sans pourtant interpeler l’origine qui fonde sa mise en lumière, sa programmatique visuelle. S’il y a lecture, c’est aussi parce que peindre nous renvoie aux origines de l’expansion de nos sens, dans ce renversement que l’inorganique a tenté, à un moment, de s’engendrer.



Thierry Texedre, le 26 septembre 2022.



Katherine Bradford (1942-)

artiste peintre américaine

née à Houston, vit et travaille à New York et le Maine, États-Unis










 

lundi 5 septembre 2022

Andreas Eriksson et l'être































 Andreas Eriksson et l'être


S'agit-il de strates, d'encombrements de la nature en sous-sol, en terre, d'où émergerait cet instant tant attendu de l'exposition comme d'un supposé réel en mutation ? Une résurrection, un certain soulèvement du peintre contre l'attraction/distraction de la nature. Là où depuis sa transformation, sa remise en forme par l'humain, on se risquerait à chercher ce qui dans le réel se cache, par une mise à l'épreuve de son existence, comme d'un déplacement géologique dans l'époque contemporaine du vingt-et-unième siècle.


Une certaine visualisation des peintures d'Andreas Eriksson nous montre un avant de ces formes organiques que Barnett Newman nous offrait du regard par ses premières peintures encore dépourvues du « Zip » de la séparation. La peinture ici n'est pas encore abstraite, ni aussi figurative.Et pourtant, il semblerait qu'on se soit retourné sur ce qui ressemble à des superpositions temporelles, où l'inorganique pointe sous la forme de patchwork « intermittent », c'est-à-dire montrant une dualité qui explore un monde naturel sculpté par l'humain, un monde où l'on reconnaît une partie de cette nature.


Métaphore d'un paysage ontologique, depuis sa mise en tension au dix-septième siècle avec un déferlement d'extension de la nature au détriment des « figures » (les personnages) contrairement au Baroque le précédent. Dans la peinture d'Eriksson, on tend à passer d'un dessous à un dessus, sans montrer la ligne ; la perspective qui était oculaire avant, devient ici « éphéméride ». Il y a encore une échelle de temps, mais on y recense cette « censure » depuis un regard qui ne peut seul voir sans s'aider de techniques d'explorations du monde [organique/végétal/minéral]. La peinture montre ces passages en concomitance (Les arbres, la terre, les roches. De temps en temps on rencontre des totems, bribe d'un tronc, comme pour mieux nous dissuader d'un paysage voué à l'éternelle fixité, abstraction à-rebours.), telle une musique intérieure, une peinture « texturée », plus proche d'un paysage de l'étreinte des éléments entre eux, que la sédimentation réelle sous-jacente au paysage du dix-septième siècle !


Andreas Eriksson nous émeut quand d'un paysage il nous déconstruit l'être abscons, pour impulser une autre alternative à notre mémoire. Il ne tient qu'à nous de la rapprocher du paysage, de notre réel.




Thierry Texedre, le 3 septembre 2022.



Andreas Eriksson (1975-)

artiste peintre, sculpteur, photographe

né à Björsäter en Suède

vit et travaille à Medelplana en Suède


 




jeudi 25 août 2022

L'orifice bleu

 


















L'orifice bleu


Sur cette plénitude du corps visité

la pensée qui trousse et se trempe

à satiété de n'avoir envie de rien

le rien est la dépendance au tout

voilà la rencontre du corps caverne

qui s'ouvre lentement aux plaisirs

usés de la couche froissée du temps

l'incendiaire du désir de l'autre éludé

par l'apparition sucrée jeté sur le sacré

hors du secours escamoté par l'envie

entrant dans l'impensable raisonnement

d'un grand tremblement des os rongés

par l'effervescente descente aux enfers

du corps médusé par le pouvoir intime

sur la vue de ses ivresses tantriques

lente agonie de l'indécidable pensée

pour fuir le temps malhonnête du vide

au loin qu'en est-il du carnage vital

de la détestation de la peur de la fuite

aussi vers ces opportuns festins

charniers qui frôlent la jouissance

ça joue donc et ça jubile gentiment

avec l'esprit comptant la mémoire

et les os et la chair et le tout dépecé

jusqu'au sang versé dans les grandes

rivières d'un coup pour occulter le trou

l'orifice bleu de la vue naissante

le commencement n'est pas encore résolu

le déluge a encore de beaux jours

à supputer à inventer cet objet tant désiré

d'un esprit trop indolore pour penser

sa sortie en coin chassant les effluves

du tableau qui récite les sacrifices

d'une peau délibérément occultée

à cause de sa misérable disparition

montrant par ce petit œil incertain

la licencieuse pose la poésie occulte

dans les profondeurs de l'anus solaire.




Thierry Texedre, le 24 août 2022.


dessin de Gaël Davrinche (Fillette 01 technique mixte sur papier 17, x 22 cm 2019)

peintures de Thierry Carrier (Sans titre, série L'enfer 1,3)







samedi 20 août 2022

Histoire d'une migration









































Histoire d'une migration


Ne pouvait-on pas se résoudre à tenter d'entrer en communion, dans ces espaces en apparence familiers, et au demeurant toucher nos esprits en les peuplant de senteurs olfactives enivrantes, pour ne plus raisonner une fois, un temps passé à reconnaître quelque chose d'autre peut-être, ici, pourquoi pas d'en montrer un peu d'une perspective intelligente, d'une peinture qui figure, se figure devant nous comme d'une certaine liberté qui déconcerte, un engagement sur des voyages imaginaires qui rencontrent notre divertissement à jouir autrement de ces paysages métamorphosés.


Daniel Gibson nous promet un voyage dont on pourrait croire qu'il fut sans histoire, alors qu'en entrant dans les méandres de ces reconnaissances visuelles, aux portraits énigmatiques et où aucun récit n'aura de sens qu'à le montrer autrement, pour l'écouter se reconstituer en histoires d'un autre usage, celle peut être d'une iconographie autre, moins aride que de celle qui nous importe, occupant nos pupilles, nos oreilles et nos goûts invulnérables à l'inconnu, au vertige de ces natures vivantes devant nos yeux, ici exposées.


L'enchantement résiste au temps, la peinture s'occupe du temps, elle le libère de ces artefacts dont la puissance n'a d'égale qu'à désenchanter la parole, la rendre caduque puisqu’elle ne peut plus rencontrer que le « même ». Entouré de paysages désertiques, l'artiste sort de sa réserve en nous emmenant dans ces plages où des fleurs, des feuillages, des animaux, des humains, se mêlent telles les imbrications de Pablo Picasso saisissant notre vision pour la détourner du centre, de ce point focal qui met en perspective nos illusions. Dépassant le surréalisme, morcelant l'expressionnisme de la peinture allemande, Gibson s'en remet au langage pour démonter la visualité de l’œuvre créée, dans une mise en mouvement du concept de rétroaction en peinture ( « Cette fleure, a-t-elle des bras et des jambes », exemple de contournement du réel).


Si nous ouvrons grand les yeux sur les couleurs ainsi exposées des peintures de Daniel Gibson, c'est pour y découvrir ces couleurs vives, mais jamais agressives, poussant une reconnaissance certaine des formes peintes, justement, à l'instant précis où de ces couleurs naît l'irréalité marquante de ce qui questionne alors la vue jusqu'à celle d'un déchiffrement qui musique et peuple notre aptitude au langage parlé. Il y a comme une lutte. Les couleurs migrent jusqu'à « décentrer » les neurones de leurs aptitudes à inclure.


« Il y a toujours trois histoires dans un tableau. L'histoire que vous voulez que les gens voient, l'histoire que vous cachez pour la révéler plus tard, et la vraie histoire étant la vérité. »

« Les terriens deviennent plus forts grâce à la lutte. C'est comme ça qu'on a réussi à ne pas s'éteindre. Nos masques ont aidé. Et les enlever est difficile. »




Thierry Texedre, le 20 août 2022.



Daniel Gibson (1977-)

né à Yuma, Arizona

artiste peintre américano-mexicain

vit à Los Angeles, Californie







 

mercredi 3 août 2022

Les voyages fantômes de Francisco Sepùlveda

 


































Les voyages fantômes de Francisco Sepùlveda


Si vous rencontrez un artiste qui vous plonge dans les abysses de ses peintures, et que vous vous laisser emporter et voyager et sombrer, allant d'une source à un autre espace sans jamais vous y retrouver ni reconnaître quoi que ce soit; ne cherchez pas plus loin, vous êtes bien chez Francisco Sepùlveda !


L'artiste conjugue dans ses peintures certaines références à ses racines sud-américaines et ses voyages allant des contes et légendes aux rivages des rêves et d'une réalité trop hallucinante pour ne pas l'avoir recueillie sur la toile. La palette est pour le moins sobre et pourtant exubérante, conjuguant la magie et le mystère du temps présent que nous dépossédons à mesure que la mémoire s'invite au refus. On devine devant chaque toile un certain apaisement rythmé par des contrastes gradués. Certaines surfaces montrent des aplats recouverts de pointillés, ou encore des parties hautes décomposant le spectre d'une microscopie indéfinissable. C'est un monde qui éclaire du dedans, développant une musicalité contemporaine, car c'est dans cet instant instable de la dilution et de la perturbation des rituels que s'ordonne un monde éclairant et illusoire, ici démontré par Sepùlveda. Un monde d'animaux collés, attachés, ou arrachés aux humains comme par magie, pour saisir cet espace de l'esprit retors qui nous gouverne. Le regard du spectateur lui, tremble à calquer son réel à celui du tableau. Une insécurité s'ouvre et se referme sur une mémoire différée, allant plus loin un temps après, vers les songes réparés de nos livraisons, au-delà de ce que nous a donné à voir l'artiste.

C'est une peinture qui voyage ainsi, nous proposant de fantomatiques perspectives, pour nous permettre peut-être de toucher à cette réappropriation d'une croyance addictive, une certaine drogue inconsciemment réparatrice, dénouant de nos injonctions euclidiennes toujours en vigueur par notre équation quotidienne du temps, sans cesser de nouvelles légendes.



Thierry Texedre, le 22 juillet 2022.


Francisco Sepùlveda (1977-)

artiste peintre et graveur chilien

né à Santiago du Chili

vit et travaille à la frontière Suisse








L'oeil induit de la lumière




























L’œil induit de la lumière


Ce qui conduit quelqu'un à faire quelque chose ici, ce n'est certainement pas une action (celle du peintre qui veut s'en sortir du traitement de la chose peinte), mais un effet déplacé de sa primitive induction. L’œil de quelqu'un, l'artiste qui trouve dans ce quelque chose qui n'a plus à voir avec l'objet de la peinture, et qui pourtant s'en remet à la rétine, au risque de la lumière qui diffuse devant soi, dans l'espace, plus largement s'en sort mieux peut-être, dans une réticence à l'espace rétinien qui structure l'objet d'un regard temporellement projeté. Projection d'un état de dépendance du regard au peintre qui va sortir du signifiant cette matérialité de l'acte de peindre, pour en extraire par bribes, projections, une lumière qui définira alors la représentation comme temps de la production en perspective de la lumière, là, un travail avec la lumière électroluminescente.


James Turrel nous montre alors une direction (parenthèse que l'histoire de la peinture nous offre quand cette lumière prend une part plus importante dans la mise en forme et la perception des couleurs dans l'espace du tableau ; mais la lumière ne prend-elle pas effet dans une inscription de l'ombre portée de tout corps dans la représentation picturale ? ), accentuation de la mise en lumière jusqu'à l'excès, transmutation de la fin de l'objet en surface dont la profondeur n'aura d'égale qu'à prendre en charge ces lumières LED pour inonder un corps devenu volumineux, néant. Absence reconsidérée dans une inclusion de l’œil, une expérience éclairante qui s'ouvrira au sublime dans le risque qu'une peinture expressionniste abstraite américaine ne cessera de traduire au début du vingtième siècle. Aujourd'hui, de nombreux artistes sont sensibles à ce travail de l'excès dans la lumière, mais encore, on traverse d'un pas, je dirais de biais, ces interrogations pour n'en garder que l'expérience projetée (par ces lumières inondant l'espace tridimensionnel et celui du réel inclusif, laissant au risque philosophique de la toile tendue l'étrange destin de sa mise en suspension du réel, de le déterminer à partir de son sujet peintre et de sa translation sur un objet, en l’occurrence le tableau.). Point d'ancrage que James Turrel nous montre quand ses espaces réservés semblent attirer le spectateur comme dans un monde où l'espace matériel est devenu irréel, tendant à nous rappeler par instants la peinture, son histoire, mais encore une mise en mémoire du réel qui pourtant inonde nos va-et-vient dans l'espace recréé par Turrel. L'artiste troue tout lien avec l'espace (le lieu) dans ce qui nous est donné [objet/lumière], pour mettre l'esprit au centre de la polémique qui présente l'incidence que l’œil exerce comme excentrique, puisque sans espace, l'esprit dérivant vers ce que la peinture traduit de la lumière (à cause de l'espace déterminant toute action de l'esprit).


Notre esprit n'a de cesse d’interpoler la lumière qui ne demande qu'à être éclairé par les espaces colorés de James Turrel.




Thierry Texedre, le 1 août 2022.


James Turrel (1943-)

artiste américain né à Los Angeles

vit et travaille en Arizona et en Irlande