lundi 28 avril 2025

La Follia



La Follia


Saut en double coup du chant

au pas pressés de la pression

en fines illusions dressées

de ces passages en circulant

en touchant au sens lentement

l’éclair de l’avant vite pressant

étreinte du présent sans cesse

sans risque ni vertige danse

sur ces accords dépassés et

claque du pied l’envers du lieu

chaque geste plus enveloppant

à deux tournant par dessus

par dessous l’ourlet cousu

avant d’en découdre jubile

en points dressés au second jeu

dansé pour donner au regard

cette hésitation sans fin

musiquée en rythmes découpés

en déraison martelée

le temps s’étire plus vite

pour soulever ces rires

ces respirations activées

ces résolutions renversées

en plis des yeux désertés

tempo martelé du temps

absent un instant

lueur au dessus pour rire

tourne et file l’anamorphose

sous les folles explosions

du cœur à découvert

rencontre au jeu embrassé.




Thierry Texedre, le 28 avril 2025.


d’après La Follia d’Antonio Vivaldi



Portrait de fou regardant à travers ses doigts

Maître, de 1537

huile sur bois, 48,4 x 39,6 cm








L’inégalité du droit à l’illégal

 




































L’inégalité du droit à l’illégal

Une peinture qui doit son droit à l’inégalité, ce serait d’une certaine façon une illégalité tellurique, une force souterraine, imprévisible, tapie dans les failles du visible. Ce serait la réponse, lucide et inquiète, au risque de recommencer toujours les mêmes occurrences — formes devenues formules, styles devenus silences. On entre par là où la peinture, longtemps, a asséné à l’histoire de l’art ce qui l’obtempérera à en sortir : par la fenêtre. Par l’ouverture que l’œil censure.

D’où le droit à l’abstraction, jusqu’à l’inévitable glissement vers une complicité avec la forme. Une connivence méfiante, instable, qui laisse surgir le dessin comme retournement du pouvoir occultant de l’abstraction spectrale. Il ne s’agit plus de suggérer par absence, mais de heurter par présence. On en revient alors à la spatialité, non plus comme simple contenant du geste pictural, mais comme événement, comme choc, intrinsèque à un corps d’écriture vulnérable, balafré, à son tour.

La société contemporaine, elle, réagit — non sans violence — aux désirs de cette écriture rebelle. Elle la marque, l’absorbe, la dévoie parfois, mais elle est aussi ce qui provoque son surgissement. Elle en est le miroir fracturé. Cette peinture devient ainsi la réponse à une nouvelle étymologie physicaliste : des collages vocaux aux conjugaisons plastiques, une peinture qui explore — sans crainte ni neutralité — le droit à l’illégalité.

La peinture s’y empêche alors de se figer, elle s’y précipite. Elle y fait face comme on fait face à l’excès du réel : en tournant le réel lui-même en illégalité. Comme pour retrouver les sens au milieu d’un trop-plein, au cœur d’un monde saturé de représentations, d’objets, de simulacres qui, tous, tentent de soudoyer la temporalité contemplative contemporaine.

C’est précisément dans cet axe de tension que se situe l’œuvre de Susanna Inglada, née en 1983 en Espagne. L’artiste entend, dans une démarche viscérale et politique, « dénoncer les conséquences des structures de pouvoir ». Sa peinture ne se contente pas de représenter l’oppression, elle la déconstruit, la découpe, la disperse dans l’espace. Il s’agit d’extirper l’art de la toile, de forcer la matière à occuper le vide, d’habiter l’installation comme on réinvestit un territoire.

Sa pratique du collage — éclatée, mouvante, jamais réduite à un plan — redonne au geste artistique un pouvoir de dissidence. Elle défait l’illusion d’une séparation nette entre forme et dessin, entre fond et figure. Ce dernier, même réduit à sa plus simple déformation, demeure porteur d’un cri. Un cri silencieux, découpé dans la couleur, dans l’espace.

L’artiste se déplace, littéralement, dans l’espace/œuvre. Elle saborde le seul registre d’une peinture immobile accrochée au mur. Elle fait de chaque pièce un lieu d’irruption, une zone de trouble, un terrain glissant où les corps — dans la société comme dans l’œuvre — sont déplacés, recomposés, interrogés. Cette inégalité entre le format rigide de la toile et l’accessibilité mouvante d’un lieu physique devient le vecteur d’une spatialité du corps social, une topographie des violences systémiques.

Ici, l’être se confronte au destin — non pas dans l’acceptation passive, mais dans la fracture rendue visible, rendue illégale, même. Ce qu’il en reste ? Des scènes flottantes, des fragments de récits désencrés, des gestes figés dans leur mouvement, comme suspendus. Des scènes « sans lieux précis », où le sens vacille, où la signifiance elle-même semble avoir été détournée.

Les œuvres de Susanna Inglada s’étendent, débordent. Elles envahissent l’espace avec une logique aléatoire, presque organique. Elles font volume avec l’émotion, avec ce regard incertain, insaisissable, qui tente de suivre leur déploiement. Ce regard, s’il ne comprend pas tout, accepte pourtant de répondre à ce droit fondamental, peut-être le plus humain de tous : le droit à l’inégalité.



Thierry Texedre, le 28 avril 2025.



Susanna Inglada (1983-)

artiste  peintre/dessinatrice espagnole

vit et travaille ) Amsterdam depuis 2012.