mardi 1 novembre 2011

L'oeil nu







Ne me regarde pas comme ça! Tu traînes ton regard salace, sortilège de la dépression, pour me déshabiller. Nulle part, pour ne pas partir dans la désespérance, où aller. On est vite rattrapé par le monstrueux même. Et si on se délite petit à petit, c'est bien là que les choses commencent. L'intérêt se coupe de l'extérieur pour finir sa course sur un corps d'élection; une coupe dans la bienséance du temps. Si tout a été fait dans les délices de ces corps vautrés, il n'en reste pas moins une charge émotionnelle, un regard, plus anonyme, plus tempétueux, en violation avec l'insoutenable légèreté de l'emphatique reconnaissance de soi. Une emphase d'une telle régression, qu'on ne saurait, dans la plupart des cas, s'y soumettre, sans sombrer dans d'horribles douleurs. Le regard de l'autre tient bon pourtant. Il vous emmène, imperturbable, vers d'autres contrées, sujettes à caution, mais pleines d'envies, pour rassasier ce court instant tourné vers l'anonymat et de l'affranchissement de la douleur. Si ce regard s'en donne à coeur joie, c'est pour mieux déverser sur cet autre, comme un empressement à rattraper l'incompatible de deux corps vers le lieu unique où la peau décharnée jouira, sous l'oeil émacié du devenir. Fragile consistance du corps de l'autre devant. Déshabillé, le propre corps se noie dans l'oeil-jachère de l'autre. Tu m'enveloppe, tu me prends, me saccage, je te soumets mon insignifiance, je me terre en toi, tu trembles sur mon devenir entrain de succomber. Tous ces délices sont à portée de ma grande délivrance. Instant photographique du geste omniprésent, et de la réverbération de la chair sur ce fond d'oeil irrité. L'oeil est plus rapide que le déclic du rendu photographié. Il opère une saisie d'ensemble, osmose du risque de perte d'un membre, décollation du sujet en blocs de chair à découvert, on veut entrer, rencontrer ce qui derrière se tisse, trame de l'immanence de la vie qui dorénavant n'a plus d'hétérogénéité que l'histoire vue en coupe: sujet à rebours vers ses gestes et ses allitérations grotesques. Tes yeux se posent sur le bas du ventre, vois ce sexe repoussé par tes avances. Il se retire un peu, le pantalon baissé jusqu'aux genoux. Le slip serre la peau, remontant les bourses, on devine sous le tissus la forme allongée du sexe, relevé comme pour mieux se positionner le pantalon attaché. Tu me caresse la partie de tissus enflé entre mes jambes écartées. Une vive réaction s'empare de moi, je sens gonfler ce sexe endolori par ces attouchements à répétition, ta main me serre le membre raidi, tuméfié par l'incendie qui monte en moi. Pas le temps pour que j'exulte! Ma queue sort déjà de ce lieu mouillé l'instant d'avant. Mes jambes se raidissent. Je relève le bas du dos pour t'aider à descendre ma culotte complètement. La peau de mon gland se retire à mesure que tu retires lentement le slip collé. Tu t'empares de l'instrument désiré, tu t’empales sur ma main, comme si de cette découverte allait dépendre la suite. Tu ricanes. J'en ai les yeux humides. J'ai peur de ta réaction. Tu insistes sur moi. Tes mains allongent le phallus dans l'Histoire, dans cette mémoire qui rompt avec le présent. Je m'attends au pire. Le membre s'évade presque d'entre tes doigts. Tu te risques à le serrer plus fort avec tes ongles longs. Je te prend à bras le corps, avec force. Nous partons en arrière, balancés de tous  côtés. Le sol nous reçoit. Le parquet résonne sèchement. Les deux corps glissent jusqu'au bord du lit défait. On s'empresse de quitter nos dernières fringues. Les vêtements sont éparpillés partout dans la pièce. Un grand désordre règne. On s'embrasse, les lèvres chauffées, par l'ardeur de ces ébats, sont ouvertes et inséparables. Les deux corps tournent sur eux-même, roulent, et reviennent près du lit. Une musique semble accompagner tous ces gestes. Tout tourne, tout disparaît, on est un centre, les corps ne font plus qu'un. Le temps passe, j'ai trouvé ce point g, elle est secouée, et tremble, de vives allitérations sortent de sa gorge. Je prononce à de rares instants des mots crus, ceux en de telles circonstances. Nos souffles plus courts, se prennent à violer la respiration. Elle tire sur les grandes lèvres de ce con indescriptible. Les poiles autour, font comme un contraste entre le rose et le noir. Peu de chance de m'en préoccuper. Elle m'a dirigé vers ce trou béant, ma main aussi, accompagne cette queue recourbée. La douleur laisse place à un émoi, je ressens monter en moi ce trauma du plaisir, vibrante extase des membres électriques. Je laisse aller ce corps raide dans un va-et-vient chaud. Un jet doux éjacule au moment où le sexe est durci, au fond impétueux de la chatte resserrée autour de sa dévoration. Nous avons jouit impérieusement. Tous les mots ont été sommés de s'arrêter sur un psaume, domination de cette errance retrouvée des corps en chair, de la chair avortée en dépliement de ce deuil; ce qui se trame en nous, pour l'amour d'une disparition, plus rien des sens n'est extérieur, et n'est plus érogène que le souvenir. Lentement les corps s'évanouissent dans un coin de la pièce, peut-être dehors, en rêve dedans, de cet intérieur sans lieu. Le grand saut dans une chair hypostasiée. Jouissance de ce parcours infini dans l'infinité des langues, dans ce noeud indéfectible de la vie qui rend la fin de la vie impossible. Un suicide de la mort en apothéose dans mille feux tournoyant au dessus de nos têtes: être coupé du monde dans la tentation. Sortilège de ce dévisageant regard sur les parties désirantes de ce corps en extase, devant l'étrange machine du corps possédé. Possédé par le crépuscule des dieux arrachés au temps.


Thierry Texedre, le 1 novembre 2011.