jeudi 20 juin 2024

Par où, quelle peinture ?





Par où, quelle peinture ?



Si nous avons un peintre particulier à aimer ou que nous engagions notre vérité plastique vers cette résonance intellectuelle, ne sera-t-elle pas absconse ; ne nous évitons pas alors certaines ressources, dispositions qui dans cet état de fait auraient un impact déviant sur certains paramètres d' accessibilité à l'artiste aimé ou choisi en tant que domaine culturel et/ou intellectuel potentiel, démontrant par là alors maintes failles quand à la direction envisagée par nos choix ?


Les paramètres se multipliant à mesure qu'on s'exerce au risque d'ouvrir une voie, un choix insécable, celui d'une peinture ou d'un peintre ; tout est porté alors par une question qui vient en suspens au même titre que celle de ce savoir omniprésent, omnipotent dans l'intervention, le choix à opérer. On ne peut absoudre ces transcriptions sans les canaliser à cause de leur sens d'incorporation, d'introspection du sens. Si l'Histoire prend en charge une partie de certains axes du sens qu'on veut bien donner aux choix d'une unité, ici le peintre et/ou la peinture, c'est bien partiellement qu'on aura mis l'irruption du choix sur le fil de la vérité, l'art n'est alors qu'un sens « pluriel » par ce qui nous permet de répondre à ces questions d'incidence du choix d'aimer. Notre subjectivité reste clivée, par manque d'appréhension, et du retrait devant une œuvre plastique. Nous aimons souvent parce que le retrait intellectuel et moral nous montre la limite du « j'aime » et du pourquoi qui peuvent rester sans voix. On aimerait sans se poser de question. La mode ne suffit pas, pas plus que ce qui rend culturellement ces choix, comme options, comme atténuation du désir vers une simple reconnaissance. Si l'impossible choix se montre chez certains artistes, c'est pour démontrer qu'on a encore dans la langue quelque chose à dire d'extensible et d'intraduisible quand au moment de leur exposition première, sondée par l'impossible extension du même. Le différentiel n'a pas encore de « lieu », il doit se résoudre à déconstruire ce qui existe, ce que l'Histoire a rendu à la pluralité des voix, des « êtres pensants ». Un passage, une saignée est possible entre Ad Reinhardt et Julie Mehretu, entre l'art pariétal et Pablo Picasso, etc. Sans fin on peut s'y promener après-coup. L'émotion (Helen Frankenthaler) peut très bien déconstruire une abstraction en peinture (Alexandre Rodtchenko) ou le minimalisme (Donald Judd). Écarts sans doute énigmatiques au premier abord, mais qui dans l'insertion artistique met en avant le va-et-vient culturel et émotionnel d'une peinture polylogique.

Les pulsions démontrent que la peinture est un rite, un passage, une insertion vers un au-delà, une métamorphose. Si l'Histoire est un repère, les sciences on une certaine autorité sur la direction phénoménologique de la peinture. La peinture prend en écharpe la matière et son sujet comme liens indéfectibles de toute résolution picturale. Si on rencontre la musique dans l'art de peindre, de composer (Vassily Kandinsky), on reste imprégné, littéralement plongé dans la matière et dans ses méandres, lieux de l'inconscient (Jackson Pollock). Le sujet est un terrain qui met en exergue une représentation trop investie par les agencements mnémoniques (le surréalisme). C'est pour cela que Barnett Newman a inventé la peinture d'un sujet en procès. De grands aplats de peinture monochrome séparée par un « zip » marque résiduelle du sujet qui s'est mué verticalement pour parler et pour voir par associations. Un choc qui n'a eu aucun bouleversement dans la migration sociétale contemporaine. Si la peinture nous propose alors un rêve une attractivité compensatoire d'un manque ou d'une mort de la religion, c'est dans la poésie que va s'ouvrir une révolution, celle intronisant le jeu de la folie (son théâtre), et son double le sujet (Antonin Artaud). La peinture, va-t-elle, d'une certaine peur vers la lente agonie qui montre alors la capacité à surgir hors d'une mise en

tension dans la matérialité ; ce serait une mise en pratique dans une métamorphose, une dissolution d'une partie du présent. La peinture inaugure donc un théâtre, une scène, une actualité, mais pas seulement. Elle est cette reconnaissance de l'incertain, du délit de surreprésentation, comme acte manqué d'un réel en train de charger le sujet de cette pluralité dont il est question dans le social, celui d'une composition, un peu comme une musique pour tous.

Quelle peinture, sinon celle dont on n'a pas encore évalué la portée, l'imminente révélation d'un acte d'authenticité du geste, on verrait quelque représentation, des couleurs aux formes, et du format sans jamais soulever le problème du chemin à emprunter. Question de signe, d'empreinte, d'écriture, d'accouchement, de chasse, d'évasion des lieux de souffrance du corps, des sillons spasmodiques des savoirs paradoxaux aux cauchemars d'une humanité aléatoire. L'ombre portée vaut-elle le coup d'être vue ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une annonciation, celle d'un corps et d'une âme qui cohabitent d'une montée vers cette vérité accouchée ?



Thierry Texedre, le 20 juin 2024.




Louis Cane « Annonciation / Assomption » 1984, huile sur toile, 230 x 220 cm