jeudi 14 août 2014

Corps d'amour








Corps d'amour

Indignation du corps face à la mort
coupe de ces songes immaculés
depuis l'origine du martellement
de la vie dans ces têtes excessives
depuis le rien qui monte du dedans
juste cette ondulation du souffle
qui souffre à aspirer les couleurs
rencontrées au plus haut point de la
naissance de l'espace qui nie l'esprit
rendu à la mort depuis la surface
la peau gangrenée par le sortilège
des mots morts en sourdine vole
en mille éclats dorés sous un chaud
défilé d'étoiles inaudibles depuis
la souffrance exhalée jusqu'à la lie
la tentation d'une dernière effraction
depuis l'origine qui monte du fond
inopportun de l'extrême damnation
du vivant s'en suit dédié à ce pensant
déplié par qui en parle le chuchotement
de n'avoir pu dire que ce qu'en songe
l'homme tente d'extirper de ses gènes
l'amoncellement de ces corps divins.




Thierry Texedre, le 14 août 2014.

lundi 11 août 2014

Trou noir


Clapotis de l'eau vive un moment où l'attrait trop vif fuit la béatitude de la peau qui tremble sous les coups saccadés d'une fessée le cul en l'air alors donne l'impression d'aimer il prend l'air et se couche comme une larve tel un monstrueux animal qui suce la queue trop longue d'un transsexuel écartelé par les forceps trop serrés pour forcer son sexe retenu par des ligatures en cuir jusqu'à ce que le gland rougisse en s'empressant de gonfler et aller chercher l'éjaculation chaude du liquide qui regarde l'eau puissante précipitée dans les sombres abysses la verge face au vertige se durcit ferraille avec les rocs os plantureux tout autour du sexe et à temps avant la chute dans un bouillon et un vacarme effréné dans un choc rassasié plus bas sur le sol couvert de taches éparses une purée blanche comme l'écume d'un sperme encore chaud la vaporeuse source sort du gosier comme du bec d'une fontaine en haut au sommet avant le sommeil...




Thierry Texedre, le 10 juillet 2014


mercredi 6 août 2014

Marc-André Dalbavie













Moribonde reconstruction







Moribonde reconstruction

...Cliquetis de la sainte Face ordinaire dans l'homme hominidé en représentation depuis l'austère allusion à la terre, tel est l'étrange défilé qui file vite tout autour de la terre en deux dimensions. Commémoration de la divine dimension sous les nuages inappropriés, vitesse aussi de la parole sous l'étreinte morbide d'un coïte anodin. L'horloge rouille, l'heure altérée se traîne depuis l'horloge atomique de haute trempe. Elle reste en suspens, comme suspectée par ceux des hommes qui naîtront sous les aiguilles acérées de la dévote teigne convulsive du baiser de l'anesthésique regard policé du jeu de l'aimant. Atomisé le sol se cache sous mille couches de ces rebuts, de ces corps souillés par la terre depuis leur enterrement. Fumée qui monte pour montrer à quel point sa noirceur ira étouffer - ceux des vivants encore là pour voir - les orifices vulnérables pour époumoner la toux jusqu'à ce qu'elle recrache la vie en rouge vif. On traite de mortifère l'homme affable d'extorquer la raison au pire moment de la nuit, à ces morts brûlés par la passion, encore tiède, depuis l'autre bout de la terre, tous tétanisés à l'idée de mourir proprement. Ou encore lancer ces frusques déglinguées du haut d'un gratte-ciel, ou encore depuis le vol d'un avion à très haute altitude, le risque de découvrir en bas, le sol décapé, et les membres dévissés de ce malfrat. Pourquoi la mort ne peut choisir l'endroit du désir insoumis pour l'applaudir en dernière instance, quel bonheur de finir dans un spectacle grandiose, depuis l'événement en expansion de la chute insoumise au leurre et au mensonge de la parole impitoyablement loi depuis la naissance du texte recouvert par la représentation hystérique du corps de l'éternité. Choc depuis la lisibilité qui suinte, de ses pores ouverts, et par quelle chaleur exorbitante, pour exhumer les restes inconnus de ces méconnaissables artefacts recouverts d'un blanc linceul...





Thierry Texedre, le 6 août 2014. 

lundi 4 août 2014

Rhapsodie du délice de ces hématomes








Rhapsodie du délice de ces hématomes

...Petite possession qui ondule sur cette inopinée errance qui sied à la chair, voilà bien là le risque d'attraper l'interminable désir du corps inassouvi. D'une fausse altérité de la peau, voilà ce qui reste d'une irritation luisante de ces pores tuméfiés. Un reliquat d'étouffement de la parole qui se soulève soudain pour se risquer à la souffrance. Soutenu le corps élevé à la parole inaudible, rentre petit à petit dans une terrifiante austérité de la vie. Courtisé par la mort de l'autre, ce corps se dissuade encore d'en finir avec le jugement de Dieu, juste ajusté au corps dans ses plis de la peau, le voici, comme médusé et méconnaissable, riant de ses accoutrements, en grimaçant, tout dégingandé qu'il est, pour faire face au soleil devenu noir aux yeux du répliquant déplié, en face, par-delà la parole vulgaire.Taraudé par le mauvais esprit qui soudain soulève la voix, voici l'arythmie qui ronfle aux oreilles du foutre tatoué et désespéré, pour l'enivrer de quelques chants illicites, jusqu'à la vilaine défloraison du timbre de ces mots alléchants, qui rauquent sensuels pour trousser la nudité du corps avalé, par toutes les phrases évanouies. Schisme de la concrétion de ces sens sans se risquer – les sens de la grammaire impitoyable d'une reconnaissance du lieu effréné qui sied à l’œil épuisé et rond et ouvert – pour jeter jusqu'à l'impuissance le jaillissement de sa gangrène, pour voir le jet trop blanc, pour jouir de la pureté d'un seul coup. Hémorragie qui prend par la main le cloaque de la peau ridée de rire de ses plis puissants par l'envie de la mort, l'anesthésie de la fin, l'illumination tant dévorée par les mots malotrus... Il faut vandaliser l'écriture, la faire sauter, l'appauvrir de ses digressions inventées pour représenter ce que le sens tentera d'exclure sous la forme de signes-indices qui convoitent l'infiniment grand de ces aires ignominieuses, de celles dont on croit naître dans l'ivresse de la reproduction insignifiante du corps d'écriture voué à extraire du corps ce qui l'a fait parlant dans l'être « chair ». Le voilà dans sa consistance à mourir en paria dès la levée des corps atomisés depuis l'impossible résurrection du même ; extirpé le corps sera de l'idiome de cette impuissance du langage, qui vient tinter aux oreilles du dire infini, comme calamité divine des corps enfouis dans l'inconscient...






Thierry Texedre, le 4 août 2014.







samedi 2 août 2014

Louis Cane











http://www.correzetelevision.fr/videos/louis-cane-au-centre-d-art-contemporain-de-meymac_989.html



Judit Reigl












Judit Reigl, Déroulement et Histoire


Marcelin Pleynet, juillet - octobre 2008

"Vous êtes en possession de moyens qui me stupéfient et je vous vois en mesure d'accomplir des choses immenses." André Breton, 1954
INTRODUCTION
 Le premier texte que j'écris sur Judit Reigl participe d'une rencontre avec l'artiste début 1975. 
Judit Reigl est alors représentée à Paris par une galerie située derrière les halles, la Galerie Rencontres. En ce qui me concerne, je collabore alors avec Philippe Sollers à la rédaction et à la direction de la revue Tel Quel.
Je vois alors les tableaux de l'artiste à la Galerie Rencontres, dont l'activité est liée aux initiatives de Betty Anderson, que Judit Reigl a rencontré et avec laquelle elle s'est liée lors d'un premier voyage d'études en Italie, en 1947.
Je découvre donc en même temps l'oeuvre de la maturité et la biographie aventureuse du peintre; qui me font l'une et l'autre une très forte impression. Et plus grande encore, lorsque j'aurai le bonheur de visiter l'atelier de Marcoussis où le peintre s'est retirée et isolée dans la première moitié des années soixante.
Marcoussis, village des environs de Paris, cher à Corot, et où Cézanne, en juin 1886, a peint chez Villevieille (peintre d'histoire et portraitiste né à Aix-en-Provence en 1829, mort à Aix-en-Provence en 1916 - élève de François Granet)... Marcoussis n'est plus aujourd'hui qu'un bourg isolé et sans grand intérêt culturel.
Ainsi tout est surprenant dans l'oeuvre de Judit Reigl. Et, pour un écrivain, sans doute aussi bien sa biographie que sa bibliographie. Comment ne pas se trouver impressionné par ce que, dès 1954, André Breton écrit d'un tableau dont le titre, Ils ont soif insatiable de l'infini, est emprunté aux Chants de Maldoror ?
André Breton adresse alors à Judit Reigl (qui encore inconnue à son arrivée à Paris, a cru devoir lui offrir la peinture) une lettre où il déclare :"Vous ne pouvez pas imaginer la joie grave qui m'envahit ce matin. Cette oeuvre, du premier instant que je l'ai vue, j'ai su qu'elle participait du grand sacré... je n'aurais jamais cru que cette parole de Lautréamont pût trouver une image à sa hauteur, et j'ai été bouleversé de son adéquation totale à celle-ci, qui s'est jetée à ma tête quand j'entrais chez vous." (mai 1954)
Cette lettre manuscrite se trouve reproduite dans la monographie que j'ai consacré à Judit Reigl - éditions Adam Biro, 2001.
Il faut voir le tableau pour découvrir à quel point la lettre d'André Breton et le texte qu'il consacre à Judit Reigl, dans Le Surréalisme et la peinture, (Gallimard éditeur) sont absolument justifiés.
Et il faut aussi savoir que je participe à un groupe qui attache une importance toute particulière à Lautréamont, sur lequel j'ai édité un livre dans la collection "Écrivains de toujours", aux éditions du Seuil en 1967 (qui fit une impression telle, qu'il me valut une invitation à enseigner dans une université américaine, à Chicago) pour comprendre la sorte d'impression et de certitude qui furent alors les miennes.
Bref, dès ma première approche, l'oeuvre de Judit Reigl devait s'imposer à moi avec la plus grande évidence. Et, comme dans ces années soixante-dix le peintre présentait sa grande série de Déroulement 1, je rédigeais sur l'oeuvre de Judit Reigl, en 1975, un essai que j'intitulais De la peinture comme enseigne. Texte repris, en 1977, dans un volume d'essais (Art et littérature) publié par la collection Tel Quel, aux éditions du Seuil.


Je dois également dire que, sollicité soit par le peintre, soit par ses galeries, je n'ai pas cessé depuis de publier très régulièrement mon admiration pour l'oeuvre de Judit Reigl; et que je l'ai naturellement associé aux diverses manifestations auxquelles j'ai été invité à participer.
Tant en France : au musée d' Art Moderne de la Ville de Paris en 1979, dans Tendances de l'Art en France : "Les partis-pris de Marcelin Pleynet", qu'à l'étranger (Italie, Allemagne, Luxembourg) "Vingt ans d'Art en France :1960/1980".
Il suffit de considérer la bibliographie de Judit Reigl, pour constater que je n'ai jamais depuis cessé d'accompagner et de célébrer son oeuvre. Jusqu'à lui consacrer, en 2001, une importante monographie aux éditions Adam Biro.
C'est dire si je me suis empressé de répondre et de donner sans réserve mon accord, en apprenant que l'artiste décidait in fine de placer l'ensemble de son oeuvre sous le titre générique de Déroulement.
LE MONDE DES SIGNES
La peinture de Judit Reigl est le plus souvent réalisée en marchant. Debout et en se déplaçant verticalement et latéralement à la toile agrafée seulement en haut sur le mur. Si l'on considère les peintures, apparemment abstraites, qui introduisent la notion de "Déroulement", on est bien entendu, en un premier temps, frappé par l'esthétique et la beauté, telle qu'elle impose finalement l'évidence de ces oeuvres.
Mais comme je l'ai déjà signalé, "La peinture de Judit Reigl (la monumentale série diteHomme en fait paradoxalement la preuve) n'est pas plus assimilable à ce qui se présenterait comme "peinture abstraite" (ou alors il faut que par essence toute peinture, en tant que telle - en tant que mode de représentation symbolique - soit abstraite)... pas plus à la peinture abstraite qu'à ce qui se présenterait comme "peinture figurative". Elle est ce que doit être toute oeuvre d'art, sans autre définition qu'elle-même et sans autre exemple."
Il faut traverser l'ensemble de ce qui constitue cette oeuvre pour constater qu'une écriture très singulière établit et semble justifier, point par point, le passage d'une série, d'une époque, aux suivantes.
L'artiste nous fournit elle-même la clef de cette aventure, en décembre 1977, dans le catalogue de l'exposition personnelle qui lui est consacrée à la Maison de la Culture de Rennes.
« Déroulement:
Première phase - J'étends une balle de coton fine (240 cm de large) à partir d'un coin de l'atelier, agrafant uniquement le haut, sur les blocs - d'épaisseur et inclinaison variées - que forment mes anciens tableaux adossés contre le mur. Tout le long de l'atelier sera couvert ainsi, les différents plans - avancés ou en retrait - et le vide entre les groupes de tableaux dispersés. Un pan de mur également, puis la porte - sur ces derniers, le tissu pend verticalement. Voici un chemin blanc ininterrompu qui coule, contourne, change de direction à l'angle de l'atelier, enjambe les obstacles, passe à la fois devant et derrière moi, ne s'arrêtant enfin que faute de place.
Deuxième phase - Je mets en marche la radio, trouve une musique, non pas comme stimulant ou inspiration, mais pour élargir la limitation de mes mouvements et gestes, en les accordant - physiquement - à une exigence extérieure. Je me mets aussi en marche, touchant, ponctuant, effleurant la toile à chaque pas avec un pinceau trempé dans la peinture glycérophtalique. Je capte et j'émets à la fois des bribes (ni forme, ni écriture, ni ligne) horizontalement, d'avancée en avancée ondulatoire. Commençant par le haut de gauche à droite, m'étirant d'abord, puis remplissant le champ, de plus en plus courbée. Ne cessant pas de moduler à mon rythme corporel la fréquence de la musique et/ou à la fréquence de la musique mon rythme corporel. Si la musique s'arrête je m'arrête; si elle change, je continue - d'une façon discontinue - jusqu'à ce que l'inscription, totalement décodée, envahisse tout l'espace disponible (laissant les vides seulement là où le champ pictural n'a pas de support derrière lui, ou quand le silence la coupe, ou l'angle, les saillies la cassent). »
Je cite un peu longuement cette note de Judit Reigl parce qu'elle met, on ne peut plus précisément, en évidence la réalisation et la constitution de ses grandes toiles de Déroulement. Et aussi parce qu'elle les associe à la marche - à la mise en marche ("Je me mets aussi en marche").
Il y a, dans le procédé même, une logique poétique d'une grande rigueur. Et, si l'on s'y attarde, on ne manquera pas de constater que ce type de récit et de procédé, ne sont pas sans rapport avec ce qui, un certain jour de mars 1950, a déterminé le destin de l'artiste. A savoir le passage en marche forcée, de la frontière Hongroise. La fuite du régime stalinien...et le choix de la liberté (Voir le récit qu'en fait Judit Reigl, en décembre 1976, paru dans Art Press en mars 1977).
Quelle différence établirons nous des Éclatement, aux Écriture en masse, aux Guano, aux Expériences d'apesanteur, aux Homme, aux Drap, décodage (de 1973), à la série des Déroulement avec ou sans porte (1974/1979) ?
A considérer l'ensemble, il est très difficile de ne pas tenir compte de la sorte de graphisme qui se déploie dans l'oeuvre. Comme il est difficile de ne pas associer ces signes de Déroulement à des notes musicales. En 1982, l'une de ces sériesDéroulement ne va-t-elle pas se voir intituler Art de la fugue ?


Et ne faut-il pas aussi, dans ce cas précis, entendre « fugue » au sens de l'art de s'enfuir du lieu où l'on vit plus ou moins librement... et dans ce cas plutôt moins ... (n'est-ce pas ?) puisqu'on doit s'en évader et en franchir le no man's land ... et ses frontières ? [Les deux sens sont valables. Le premier sens: pendant deux ans, ce travail presque quotidien avec la musique de Bach pour trouver corporellement et psychiquement, le geste et le rythme originel de toute musique, peinture et poésie (Proust, Joyce Hölderlin…et jusqu’à Marcelin Pleynet). Note de J. Reigl] Rien dans l'oeuvre de l'artiste ne permet d'oublier la très singulière expérience que fut pour elle le choix de la liberté. Voudrait-on l'oublier qu'elle ne manquerait pas d'y revenir et de la préciser. Notamment dans le numéro 5 de la revue Art press : "Je viens à l'instant de traverser le rideau de fer (étroit couloir de champ de mines bordé de no man's land de cinquante mètres de chaque côté). Je viens de passer au dessus même des mines..."
La figure s'impose certes dès le premier séjour en Italie, mais avec une intelligence très particulière et, il faut bien le dire, pas le moins du monde naturaliste. Judit Reigl fut et reste habitée par cette expérience de dissidence qui est la sienne. Et plus encore par ce que cette expérience, qui consiste aussi à tenir compte d'une frontière donnée comme no man's land, peut avoir d'exceptionnel pour un destin de femme.
Ce qu'il convient avant toute chose de remarquer, c'est que l'ouverture de l'oeuvre, au moment où André Breton en prend connaissance, s'établit à partir d'une oeuvre littéraire (Les Chants de Maldoror) particulièrement révolutionnaire et dont le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne fut jamais très fréquentée (Ils ont soif insatiable de l’infini, 1950).
Bref, il faut retenir ce que l'intelligence picturale de Judit Reigl doit à sa fréquentation de la littérature, de la lecture et notamment de la poésie ... de la parole qui se traduit et se révèle dans sa capacité de jouer, si je puis dire, formellement, des mots et des formes.
"Mon corps joue le jeu dont
je suis la Règle.
Règle du jeu, je de Reigl
Déterminé. Déterminant.
Un corpuscule de l'Univers.
Un corpuscule de l'univers
C'est l'Univers." (J.R.1985)
Se servir des mots pour "décrypter" - "décoder" les figures, et notamment ses figures d'Homme , manifestement survivant au no man's land de la frontière, qu'il faut franchir pour accéder, dans de beaux draps... pour accéder, pour avoir accès à la peinture vraiment libre.
COMMENT LA LIBERTÉ VIENT A LA PEINTURE
Il faut d'abord que la liberté soit intrinsèquement liée au destin de l'artiste. C'est ce dont témoigne la biographie de Judit Reigl et son mode de dissidence en mars 1950. "J'ai, écrit-elle, quitté un bloc pour n'appartenir à aucun autre."
Dans un cas comme celui-là tout va très vite et plus vite encore. Ils ont soif insatiable de l'infini sera réalisé dès la première année du séjour de Judit Reigl à Paris en 1950. Suivi en 1952, entre décembre 1952 et janvier 1953, par Volupté incomparable(emprunté aussi à Lautréamont).
Et déjà, en 1952, ce très étonnant *Interrogation d'un objet *(50 x 60) qui n'est pas sans évoquer la notation cézannienne qui fit une telle impression sur les peintres cubistes : " Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan se dirige vers un point central."
Si l'on veut bien entendre que pour Judit Reigl, comme pour Cézanne, "la nature" ne saurait se distinguer de la nature picturale.
La composition décisive de cette petite toile ne sera pas sans conséquence. Judit Reigl la réalise en utilisant le premier objet qu'elle a sous la main : une boite rectangulaire avec laquelle elle travaille directement, en la déplaçant sur la toile dans l'épaisseur de la peinture fraîche.
Et déjà, dans le geste qui se saisit spontanément d'un objet qui lui tombe sous la main (pour réaliser en se projetant sans réserve sur l'ouverture, sur le plan sans fond du tableau) se produit un réel dépassement de l'image trivialement onirique de la peinture surréaliste. Un dépassement du Surréalisme par le Surréalisme même.
Bref, Judit Reigl, dès ce moment, retient du Surréalisme en art, ce qui fait l'originalité du surréalisme en littérature : l'écriture automatique, et ce qui la justifie comme Déroulement, soit la mise en jeu d'un « automatisme psychique » complété par un mouvement corporel.
C'est là une véritable révolution, qui, au même moment, fait le succès de la nouvelle peinture aux États-Unis, où s'impose la prestigieuse École de New York. Les tableaux qui suivent à la fin des années 50, la série de Éclatements (1955/1956) et la série deCentre de dominance (1958), préparent tout à fait logiquement la grande et belle série d' Écriture en masse (1958-1965) dont certaines oeuvres ne sont pas sans évoquer les peintures de Clyfford Still, tout en visant une toute autre mise en jeu. Et en participant d'une autre logique poétique plus spécifiquement et essentiellement surréalisante... freudienne, pour ne pas écrire lacanienne.






À savoir, plus évidemment, prise dans les "rets" du langage et dans ses très complexes conscientes, inconscientes, pré-conscientes, ordonnances formelles.
Il faut, à partir de là, sortir de toutes généralités et facilités d'associations visuelles, pour retenir ce que l'expérience biographique essentiellement européenne de la dissidence put avoir de plus ou moins implicitement traumatique pour le jeune peintre.
UNE SCIENCE DE LA PEINTURE
De ce point de vue je retiendrai quelques éléments qui jouent un rôle spécifique et déterminant dans la réalisation de l'oeuvre de Judit Reigl.
1) une évidente passion pour le savoir, et pour un savoir plus essentiellement lié à la poésie. C'est à dire une réelle passion pour la lecture.
2) en retenant que le relatif isolement, quelques décennies durant, à Marcoussis n'a pu que développer et faciliter ce type de réflexion et de méditation.
3) que cet isolement est contemporain d'un certain nombre de recherches qui se développent alors dans l'avant-garde, de certaines études sur la théorie littéraire en France : la découverte de la linguistique, des formalistes.
... et la mise à jour d'une science "sémiotique" qui associe linguistique, psychanalyse et esthétique. Notamment autour de la revue Tel Quel, les travaux de Jacques Lacan, de Roland Barthes et de Julia Kristeva...
En serait-il besoin, que la série horizontale de Déroulement, donnant naissance en 1983/1984 à une série verticale intitulée Hydrogène, photon, neutrinos, témoignerait des questions qui occupent alors Judit Reigl. Et de la diversité de ses intérêts.
Ce que l'on constate, en suivant le Déroulement de son oeuvre, c'est que les séries s'engendrent, beaucoup plus qu'elles ne se suivent. Et que tel aspect, qui semblera d'abord surprenant, se trouve tout naturellement, dirait-on, développer ce qui se trouvait déjà en gestation dans une série précédente.
C'est frappant notamment à quelques trente années de distance, avec l'apparition des portes de la série Entrée-Sortie, où l'on retrouve, dans les années quatre-vingt, ce qui déjà faisait événement, à la fin des années cinquante et au début des années soixante, avec certains Guano.
Il faut retenir que cette disposition et cette liberté, dans son rapport avec le langage poétique, s’enracine dans la première langue de Judit Reigl, le hongrois. C’est donc le poème d’un des plus célèbres poètes hongrois, Attila Jozsef, que Judit Reigl évoque dès les années soixante et à qui elle emprunte le titre « Guano ».
On remarquera avec intérêt que c'est dans une de ses Entrée-Sortie, intitulée pour l'occasion Face à... , qu'apparaît, faisant retour, la figure d'un jeune homme debout les bras le long du corps, tel qu'il déterminera la série, de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-dix, que l'artiste intitule Un corps au pluriel (emprunté à Spinoza). Puis au début des années deux mille Corps sans prix (emprunté à Rimbaud).




Sans oublier que la série des Homme, et la série des Drap, décodage, s'établit de 1966 à 1973... pour finalement s'ouvrir sur le vaste ensemble des Déroulement, de 1974 à 1979. Dont le graphisme n'est pas sans rappeler la gestualité mise en évidence avec les Drap, décodage.
La porte, ici encore, apparaît et s'impose par exemple dans les trois grandsDéroulement (220 x 600) de 1975.
PEINTURE ET BIOGRAPHIE
Ce que Picasso croit devoir donner comme explication des dates très précises (jour, heure, mois, année) qui très vite figurent à côté de sa signature au bas de ses peintures (à savoir "il existera sans doute un jour une science de l'homme susceptible d'établir ce qui détermine tel ou tel aspect des oeuvres") me paraît, par bien des aspects, pouvoir s'appliquer aux peintures de Judit Reigl.
Il suffit de retenir l'événement biographique considérable que fut pour le peintre la décision de quitter la Hongrie et de passer la frontière qui devait lui permettre d'envisager une peinture... sans frontière. Tout en restant profondément occupée et préoccupée par ce passage. Et par le fait que ce passage soit justement celui d'un no man's land.
Il n'est pas, loin de là , sans intérêt le fait qu'elle ait intitulée une de ses premières toiles, et sans doute une des plus célèbres (elle est aujourd'hui au MNAM, Centre Georges Pompidou), Ils ont soif insatiable de l'infini.
N' y revient-elle pas d'une certaine façon, courant 1978, dans un texte au titre significatif : Évident/caché/actualisé/latent : "Une des plus magnifiques réponses à la recherche de la profondeur : l'espace chinois. Inversement à la perspective occidentale qui se rétrécit, celle de la Chine s'ouvre à l'infini, à la fois plongeante et ascensionnelle."
On remarquera qu'en les isolant, et en les agrandissant, chacun des signes qui constituent les suites de Déroulement, fait penser à un idéogramme chinois. Une sorte d'écriture que Judit Reigl, bien que familière avec au moins trois langues (hongrois, français, anglais), ne pratique pas.
Le passage de la frontière est sans aucun doute un élément structurant pour l'essentiel de l'oeuvre de Judit Reigl. C'est en tout cas à partir de cet élément et de ses conséquences existentielles, que j'interpréterai aujourd'hui une fois de plus, dans sa plus vaste ordonnance, la pensée et l'oeuvre, de ce point de vue sans exemple, de Judit Reigl.
POUR NE PAS CONCLURE
Judit Reigl est née à Kapuvàr, Hongrie, en 1923. Elle a donc aujourd'hui 85 ans. Ce que classiquement je considérerai spontanément, et contrairement à la doxa du jour, comme l'âge de la maturité pour un peintre. En tout cas l'âge où l'oeuvre se réalise sans que la moindre hésitation puisse se manifester.
Et c'est bien ce que je constate en revenant aujourd'hui sur l'ensemble extrêmement cohérent que présente la carrière et l'oeuvre de cette artiste qui, depuis son hommage à L'homme qui court, de Malevitch, en 2000, paraît suffisamment sûre d'elle pour entamer et poursuivre un dialogue avec les plus grands.


Ses dessins les plus récents, d'après des artistes historiquement établis, manifestent très clairement et avec brio, ce nouvel intérêt ... qu'il faut situer d'Alberto Giacometti aux Expressionnistes allemands (E.Nolde).
La série Déroulement (phase IV- anthropomorphie), en 2008, et qui comporte sept peintures de 220 x 200, s'impose avec une évidence et une force tout à fait exceptionnelle. C'est un peuple nouveau et jeune qui surgit aujourd'hui d'une oeuvre qui a chèrement gagné son libre mouvement, en tout point incomparable, et à bien des égards unique.


Judit Reigl s'impose désormais comme un des plus grands peintres de sa génération. Et si l'on peut regretter que sa reconnaissance par les musées et le marché d'Outre-Atlantique soit un peu tardive... il faut aussi se féliciter des œuvres acquises par le MNAM Centre Pompidou à Paris et par la TATE MODERN à Londres. Ainsi que par les initiatives de Kàlmàn Maklàry, qui depuis quelques années fait un travail de pionner en introduisant l’œuvre de J. Reigl dans toute l’Europe: catalogues, livres, expositions (Musée Mucsarnok à Budapest; exposition Galerie Erdész&Maklary à Budapest; Artfair à Paris; à Cologne, à Moscou, à Bruxelles…). C'est aussi lui qui a emmené en 2005 Jànos Gàt dans l’atelier de l’artiste. Jànos Gàt l’expose pour la troisième fois dans sa galerie à New-York (2007/2008/2009). Grâce à ses efforts, d’autres musées de réputation internationale, comme le musée de Houston Texas, le musée Métropolitain, le MOMA de New York, représentent aujourd'hui une oeuvre aussi manifestement décisive et s'affirmant avec une aussi claire importance historique.

note 1


Phase 1 : Déroulement classique (début sur toile vierge).

Phase 2 : Art de la fugue (fond très léger).

Phase 3 : Verticale (l’écriture devient un flux large) alu, bronze, métaux incorporés.

Phase 4 : Anthropomorphie.