L’ordination laïque chez Nathalie Bas
« La chose à dire existe seulement au moment où je la peins. Je suis alors vraiment dans le sujet, dans une ébullition absolue où tout est clair. » « Je construis une peinture comme une romancière. Je travaille en couche, chapitre par chapitre. Je construis une narration et, à la fin seulement du récit, l’histoire apparaît. »
Nathalie Bas est une artiste peintre française, née en 1965, réside et travaille à Arcueil.
L’ordination laïque, c’est l’organisation regroupant différents membres d’une société qui est diversement imprégnée par des codes de vie regroupant de nombreuses croyances et lois selon l’interprétation ou l’arrangement retranscrit dans la figuration narrative de Nathalie Bas.
I. L’ordination laïque : un sacré sans transcendance
L’expression « ordination laïque » pourrait sembler paradoxale : l’ordination suppose un rituel d’entrée dans un ordre religieux, alors que la laïcité en désigne le retrait, voire la neutralisation. Chez Nathalie Bas, ce paradoxe devient moteur plastique.
Ses
personnages, souvent seuls ou saisis dans des instants suspendus,
portent les marques d’un sacré
sécularisé
: une intériorité, une gravité silencieuse, une posture d’attente
ou de recueillement.
Mais ce sacré n’est plus celui des
dogmes : il est immanent,
incarné dans le réel, dans la matière picturale, dans le geste
même du peintre.
Ainsi,
on pourrait dire que Nathalie
Bas ordonne le profane
:
elle institue par la peinture une forme de cérémonie laïque
du regard, où chaque visage, chaque objet devient relique du
quotidien.
Ses œuvres procèdent d’une ritualisation
du réel
sans recours à la transcendance.
En cela, son art participe d’une “spiritualité laïque” — un humanisme pictural qui accorde à chaque fragment du monde la dignité du sacré.
II. Figuration narrative et recomposition du croire
Dans
sa figuration narrative, Nathalie Bas ne raconte pas des mythes
religieux mais des
récits humains,
souvent ordinaires, où s’infiltrent pourtant des réminiscences du
rituel :
– postures de contemplation,
– mise en scène
frontale,
– compositions centrées comme des icônes.
Le
“croire” y est déplacé
: on ne croit plus en Dieu, mais en l’autre, en l’émotion, en la
trace.
C’est une iconographie
du croire sans religion,
qui questionne la persistance du besoin de foi dans un monde laïque.
Philosophiquement,
on pourrait rapprocher cette tension du propos de Marcel
Gauchet
dans Le
désenchantement du monde
: la modernité s’est voulue sortie de la religion, mais elle en
conserve les structures symboliques.
De même, la peinture de
Bas réenchante
le laïque
— elle en révèle les liturgies invisibles : gestes, objets,
visages, silences.
III. L’organisation laïque comme communauté symbolique
“L’organisation regroupant différents membres d’une société imprégnée par des codes de vie…”
C’est exactement ce que Nathalie Bas semble observer : la société laïque comme nouvelle communauté rituelle, où les “croyances” ne sont plus théologiques mais culturelles, psychologiques, sociales.
Dans
ses scènes figuratives, chacun appartient à une société
fragmentée, mais partage encore des signes : un regard, un objet, un
geste.
C’est cette “liturgie
des signes laïques”
qu’elle met en peinture.
Là où la religion reliait les hommes à travers le divin, Nathalie Bas relie les hommes à travers la peinture — médium de mémoire, de reconnaissance, de présence.
La figuration devient alors un acte éthique : un moyen de restaurer du lien, du sens, du visible commun.
IV. La laïcité comme espace esthétique
Enfin,
la laïcité chez Nathalie Bas n’est pas un thème mais un
dispositif
esthétique.
Ses
compositions sont des espaces où rien n’est imposé — ni dogme,
ni récit totalisant.
Chaque œuvre est ouverte à
l’interprétation, à la pluralité du regard.
C’est la
peinture comme espace
de coexistence pacifiée des croyances.
Autrement dit : la laïcité devient forme plastique —
un vide central, un champ commun où les différences s’ordonnent sans hiérarchie.
V. Vers une “iconographie du profane”
On
pourrait conclure que l’ordination
laïque,
chez Nathalie Bas, consiste à réinvestir
le profane d’une aura.
Ses
œuvres sont des icônes
sécularisées,
des portraits de la foi humaine en l’humain.
Cette peinture ne cherche pas à “défaire” le sacré, mais à le redistribuer — à le faire passer dans la texture des choses ordinaires, dans le grain de la peau, dans la lumière d’un regard.
C’est,
au fond, une théologie
sans dieu
:
une peinture qui croit en la présence, en la dignité du
monde, en la possibilité de sens sans dogme.
Thierry Texedre , le 12 octobre 2025.