Peter Reginato peintre
De la dilution
En peinture surtout, pourquoi ce rapport philosophique entre fond et forme, c'est-à -dire ce qui du passé en l'occurrence chez Matisse ou Picasso se trame déjà de la forme entrain de démultiplier la figure dans une rythmique qui chez Peter Reginato se renversera en un risque de reconnaître l'espace d'une indétermination du fond et de la forme passées ?
Peter Reginato est né en 1945 à Dallas (Texas) aux États-Unis. Il a grandi dans la région de la baie de San Francisco (Berkeley/Oakland en Californie). Vit et travalle à New York.
Bien que souvent identifié comme sculpteur, Reginato est à la fois peintre et sculpteur abstrait. Dans ses peintures récentes, il explore des compositions abstraites avec couleur, forme, dessin — interrogeant la relation figure-fond, et cherchant à transcender certaines conventions de l’abstraction.
Chez Peter Reginato, la peinture n’est pas ce qui se montre, mais ce qui s’invente dans la tension du visible. Elle n’est pas surface ni forme, ni fond, mais la vibration qui passe entre ces termes et les rend inassignables. Ce que l’œil rencontre, dans certaines œuvres, n’est plus un espace ordonné où la figure se détache, mais une zone d’incertitude où le regard lui-même devient matière. Le fond, que l’on croyait passif, y agit comme un champ de forces ; la forme, loin de s’y imposer, s’y dissout, s’y reforme, s’y égare. Ainsi la peinture ouvre un espace où rien ne précède, où tout advient.
Ce qui se montre, c’est l’essence même de la couleur chez un Matisse, mais sans objectiver sans une reconnaissance de la forme et du contour. Les couleurs sont vives et se déplacent en blocs qui se dissolvent à mesure qu’on croit y voir une formation, un objet, une masse structurante.
Ce qui se joue là, c’est moins l’abstraction que la disparition de toute hiérarchie perceptive. Le visible ne s’organise plus selon la figure et son support, mais selon un rythme, un mouvement d’apparition et de retrait. La peinture devient un devenir, un passage continu entre ce qui s’affirme et ce qui s’efface. Dans cette oscillation, le fond cesse d’être le lieu d’un en dessous : il devient présence, souffle, champ d’énergie, peut-être même mémoire de la forme qui s’y rejoue autrement. Ce qui s’y déploie n’est pas la forme elle-même, mais le moment où elle risque de n’être plus reconnaissable. Peindre, dès lors, revient à faire exister cette instabilité, à maintenir vivante la possibilité du basculement. Il n’y a plus de ligne de partage entre l’acte et son résultat : la forme se trace dans son effacement, le fond s’épaissit à mesure qu’il se vide. Dans la matière, tout devient réversible. La couleur ne décrit plus, elle agit ; elle n’appartient ni à la forme ni au fond, mais au passage entre eux, à l’entre-deux où le visible se forme et se défait simultanément.
Cette peinture ne cherche pas à représenter le monde, ni même à en proposer une abstraction : elle pense le visible pour le diluer comme une expérience du devenir. Elle devient instabilité dans le réel, dans l’acte de peindre, dans l’être coloré. Elle ne montre pas ce qui est vu, elle montre que voir est un acte instable, un mouvement sans centre. Le fond et la forme ne sont plus des catégories, mais des moments d’un même souffle : ce qui se détache appelle déjà son effacement, ce qui s’efface prépare sa réapparition. L’espace pictural n’est plus le lieu d’un ordre, mais le théâtre d’une métamorphose continue. Le risque est là : que rien ne se fixe, que la peinture reste ouverte, traversée par ce doute lumineux où le regard ne sait plus ce qu’il reconnaît. Mais c’est précisément dans ce risque que s’invente une pensée : celle d’un visible qui n’appartient à personne, d’un espace où la forme n’est plus le signe d’une maîtrise, mais l’épreuve d’une liberté. La peinture ne dit plus : « voici ce qui est », elle murmure : « voici ce qui devient ».
Alors le fond et la forme cessent d’être des pôles, ils deviennent les deux faces d’un même acte. L’un appelle l’autre, se traverse, se dissout dans l’autre. La peinture, en ce sens, n’est pas l’art de poser des formes sur un fond, mais celui de penser le fond comme forme en devenir. Ce n’est plus un geste de construction, mais un geste d’exposition : exposer la matière à son propre passage. Peindre, c’est laisser le monde se redire sans contours, dans la lente oscillation d’un visible toujours recommencé.
Peter Reginato nous oblige peut-être à nous souvenir que l’histoire de la peinture puise dans ce qu’un sujet contemporain rencontre, puisant ainsi dans la mémoire collective et historique pour atomiser une peinture qui se montre et épuiser alors sa reconnaissance acquise. Sa dilution improvisée n’a d’improvisation que ce que le regard peut de perdre cette reconnaissance, la spontanéité du réel.
Thierry Texedre, le 29 octobre 2025.


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