vendredi 19 décembre 2025

De l'invisible chez Darédo

 




De l’invisible chez Darédo



Dadéro, née en 1961 à Montpellier, vit et travaille aujourd’hui à Lodève, dans le sud de la France. Autodidacte depuis une vingtaine d’années, elle développe une pratique du dessin et de la peinture qui se tient délibérément à distance des catégories académiques, tout en engageant un dialogue souterrain avec l’histoire de l’art et les puissances qui la traversent.

Son œuvre se déploie dans un rapport tendu à l’invisible. Non pas l’invisible comme arrière-monde mystique ou symbolique, mais comme ce qui agit avant la forme, ce qui insiste dans le geste, ce qui affleure sans jamais se résoudre en image stabilisée. Chez Dadéro, la surface picturale devient le lieu d’une pression : lignes, figures, répétitions, saturations semblent surgir moins d’un projet que d’une nécessité interne, comme si la forme était convoquée pour contenir ce qui, sans elle, menacerait de se dissoudre ou de déborder. C’est le lieu d’une résurgence de la peinture prise dans l’inconscient pour le délier à partir d’un délire. Il ne s’agit pas d’un délire comme perte totale de la loi, mais d’un délire comme tentative de réorganisation.

La spontanéité qui caractérise son travail ne relève pas d’une naïveté expressive. Elle procède plutôt d’un rapport conflictuel à la conscience et au présent. Le geste n’est pas immédiat, il est traversé : traversé par des réminiscences, par des tensions, par une mémoire non pacifiée. En ce sens, la peinture de Dadéro peut être envisagée comme le lieu d’une résurgence — celle d’une peinture prise dans l’inconscient, non pour s’y complaire, mais pour tenter de s’en délier. Le recours à une forme de déchaînement graphique, parfois proche du délire, n’est pas une perte de contrôle ; il constitue au contraire une tentative de nouage, une manière de rejouer sans cesse la limite entre ce qui tient et ce qui menace de se fragmenter.

On pourrait rapprocher son travail de certaines zones de l’art brut ou de l’expressionnisme, mais ce serait à condition de ne pas y voir une simple extériorité à la culture. Car si Dadéro travaille hors des cadres institutionnels, elle ne peint pas hors de toute conscience de la peinture. Son œuvre témoigne d’un savoir du faire, d’un rapport aigu à la surface, au rythme, à la répétition, qui inscrit son geste dans une histoire diffuse, mais bien réelle, des formes indociles. À l’automatisme libérateur des avant-gardes, elle substitue une forme plus âpre, plus inquiète, où l’inconscient n’est jamais célébré comme promesse, mais éprouvé comme tension.

Ce qui se joue alors, c’est une confrontation permanente entre une conscience prise en défaut — incapable de se stabiliser dans un présent univoque — et une loi qui n’est jamais donnée, mais sans cesse rejouée. La peinture devient le lieu de cette épreuve : non un espace de réconciliation, mais un champ de forces où se négocient le sens, le sujet et ses limites. En cela, l’œuvre de Dadéro ne relève ni de la transgression spectaculaire ni de l’expression cathartique ; elle travaille le bord, le seuil, l’instabilité même du rapport au réel.

Peindre, chez Dadéro, n’est pas « représenter » : c’est tenir. Tenir face à ce qui revient, face à ce qui insiste, face à ce qui, sans le geste, resterait sans forme et sans lieu.



Thierry Texedre, le 19 décembre 2025.







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