Sans
interruption la petite mesure bien tempérée va, au
rythme hautement fragmenté de la vie. Quelle rive ira au loin,
pour se rapprocher, entrer en magnificence. Magnificat, le corps
crépusculaire se met à parler; le temps d'entendre ce
léger murmure de la peau, juste un voile. Quelle transparente
vocation du désir humain, quand il se tait! On passe par
quelque chose qui a à voir avec la mort, juste le temps de
vivre pour voir le jour, celui du lendemain peut-être. La
grande démesure du corps humain passerait par sa cessation à
parler, le temps de l'écoulement du temps. Traversant cette
marée humaine, le corps seul va, au rythme effréné
de l'épuisement de ce grand dire. Opulence de ce diktat, de
l'effacement du désir face à la forme du corps épuisé.
On pense le mal, celui du rien, de l'autre, comme passion. Le rien
n'étant pas le vide, le vide n'étant pas le silence, le
silence n'étant pas la douloureuse effraction de la naissance,
on en conclurait alors que l'étirement du corps né,
n'est pas cette reconnaissance que le dire tente, au plus près
pourtant du bruissement de la chair. Quelle passion viendrait se
donner au dire pourrissant, en cette fin de vie exhortée, et
chantée par les anges au dessus de notre fin. Nous ne nous
approchons pas encore de ce fait fracassant: l'amour glissant du
désir dépassé en un jet extravagant du délice
jouissant, exacerbé par les sens lentement, dans une
suspension du temps. Des voix au loin se font entendre, rivière
glissant de peaux en peaux, du courant bouillonnant en cascade
ininterrompue. L'air est là entrant en nous, pour nous
envahir, nous posséder d'un amour, feu du dire qui brûle
en coups éclairants. La petite musique s'évade, monte
dans les cieux, dans un grand tremblement qui traverse les corps,
jusqu'à ce qu'un hurlement douloureux s'évade,
doucereux, comme si enfin un dire pouvait être entendu, traduit
dans une vraisemblance, celle de l'immanence. Le présent n'a
plus l'effroi du souffle de la vie, mais la parole du corps
résurrectionnel. Tous les corps ensemble donnent de la voix,
quel souffle, quelle ode à l'existence, quel vivacité
dans l'emportement des sonorités verbales, écho à
la naissance du temps parlé. On parlerait parce que les corps
forcés par la naissance, chanteraient l'immortalité du
dire. Quelle occlusion pour le corps un et divisé, pour le
corps déjà double avant de naître! Point d'effroi
dans cette ivresse, si ce n'est l'impossible repos de la voix devant
sa tessiture, le dire s'y installe en dansant? Le dire danse sa fin
avant que le corps seul, en sa fin de vie, ne se souvienne du
tremblement intérieur naissant. On danse pour ne pas penser,
pour ne pas se souvenir, pour ne plus pleurer la mort. On chante en
dansant pour exister, pour que le dire cesse, pour que la naissance
enterre la mort. Vive la mort enterrée. Vive la fin des temps
pour en finir avec la mémoire. Vive l'effervescence des sens
dans le grand bruit des corps parlants. Vive ce leurre indubitable
de la vie.
Le
risque de choisir la mort plutôt que la vie, ressentiment de
puissance humaine, n'est un pouvoir qu'à jouir dans l'extrême,
le grand vide, le grand saut dans l'immensité du rien, où
tout se rejoint; opulence et richesse de la pensée sur
l'infestation de l'objet de la possession. Quel amour plus puissant
que cette dérive, que ce sacerdoce ontologique? Sinon l'autre,
le non soi, l'apothéose de ce ressort, de la plus grande des
naissances, la joie de l'union, rencontre d'une différence, sous un même corps dévêtu. Le vêtement serait la part cachée d'une future langue (sa peau?). Immanence de
la vie sous quelle résurrection? Plutôt sous quelle infraction d'un corps désavoué, sien, possession comme mise en mémoire "tampon" d'un plein-corps absurde. Ce serait un commencement autre, une athéologie, polylogue des corps parlants. Un corps fou n'est fou qu'à représenter un corps consommé, et pourtant toujours hors de soi, inaccessible, intouchable et pourtant reconnaissable, plié. La reconnaissance passe par le temps vrai (vécu), l'accessibilité passe par un corps désirant, corps sensible qui opèrerait un transfert sur un autre corps, image transparente et découpée, image recomposée pour exister (le temps imaginaire). La tragique existence de l'homme soulève une passion qui n'a d'égale que sa démesure amoureuse et infinie, dialogue incessant d'une danse macabre.
Thierry
Texedre, le 24 mars 2012.
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