samedi 24 mars 2012

Passion














Sans interruption la petite mesure bien tempérée va, au rythme hautement fragmenté de la vie. Quelle rive ira au loin, pour se rapprocher, entrer en magnificence. Magnificat, le corps crépusculaire se met à parler; le temps d'entendre ce léger murmure de la peau, juste un voile. Quelle transparente vocation du désir humain, quand il se tait! On passe par quelque chose qui a à voir avec la mort, juste le temps de vivre pour voir le jour, celui du lendemain peut-être. La grande démesure du corps humain passerait par sa cessation à parler, le temps de l'écoulement du temps. Traversant cette marée humaine, le corps seul va, au rythme effréné de l'épuisement de ce grand dire. Opulence de ce diktat, de l'effacement du désir face à la forme du corps épuisé. On pense le mal, celui du rien, de l'autre, comme passion. Le rien n'étant pas le vide, le vide n'étant pas le silence, le silence n'étant pas la douloureuse effraction de la naissance, on en conclurait alors que l'étirement du corps né, n'est pas cette reconnaissance que le dire tente, au plus près pourtant du bruissement de la chair. Quelle passion viendrait se donner au dire pourrissant, en cette fin de vie exhortée, et chantée par les anges au dessus de notre fin. Nous ne nous approchons pas encore de ce fait fracassant: l'amour glissant du désir dépassé en un jet extravagant du délice jouissant, exacerbé par les sens lentement, dans une suspension du temps. Des voix au loin se font entendre, rivière glissant de peaux en peaux, du courant bouillonnant en cascade ininterrompue. L'air est là entrant en nous, pour nous envahir, nous posséder d'un amour, feu du dire qui brûle en coups éclairants. La petite musique s'évade, monte dans les cieux, dans un grand tremblement qui traverse les corps, jusqu'à ce qu'un hurlement douloureux s'évade, doucereux, comme si enfin un dire pouvait être entendu, traduit dans une vraisemblance, celle de l'immanence. Le présent n'a plus l'effroi du souffle de la vie, mais la parole du corps résurrectionnel. Tous les corps ensemble donnent de la voix, quel souffle, quelle ode à l'existence, quel vivacité dans l'emportement des sonorités verbales, écho à la naissance du temps parlé. On parlerait parce que les corps forcés par la naissance, chanteraient l'immortalité du dire. Quelle occlusion pour le corps un et divisé, pour le corps déjà double avant de naître! Point d'effroi dans cette ivresse, si ce n'est l'impossible repos de la voix devant sa tessiture, le dire s'y installe en dansant? Le dire danse sa fin avant que le corps seul, en sa fin de vie, ne se souvienne du tremblement intérieur naissant. On danse pour ne pas penser, pour ne pas se souvenir, pour ne plus pleurer la mort. On chante en dansant pour exister, pour que le dire cesse, pour que la naissance enterre la mort. Vive la mort enterrée. Vive la fin des temps pour en finir avec la mémoire. Vive l'effervescence des sens dans le grand bruit des corps parlants. Vive ce leurre indubitable de la vie. Le risque de choisir la mort plutôt que la vie, ressentiment de puissance humaine, n'est un pouvoir qu'à jouir dans l'extrême, le grand vide, le grand saut dans l'immensité du rien, où tout se rejoint; opulence et richesse de la pensée sur l'infestation de l'objet de la possession. Quel amour plus puissant que cette dérive, que ce sacerdoce ontologique? Sinon l'autre, le non soi, l'apothéose de ce ressort, de la plus grande des naissances, la joie de l'union, rencontre d'une différence, sous un même corps dévêtu. Le vêtement serait la part cachée d'une future langue (sa peau?). Immanence de la vie sous quelle résurrection? Plutôt sous quelle infraction d'un corps désavoué, sien, possession comme mise en mémoire "tampon" d'un plein-corps absurde. Ce serait un commencement autre, une athéologie, polylogue des corps parlants. Un corps fou n'est fou qu'à représenter un corps consommé, et pourtant toujours hors de soi, inaccessible, intouchable et pourtant reconnaissable, plié. La reconnaissance passe par le temps vrai (vécu), l'accessibilité passe par un corps désirant, corps sensible qui opèrerait un transfert sur un autre corps, image transparente et découpée, image recomposée pour exister (le temps imaginaire). La tragique existence de l'homme soulève une passion qui n'a d'égale que sa démesure amoureuse et infinie, dialogue incessant d'une danse macabre. 




Thierry Texedre, le 24 mars 2012.




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