Sabine Moritz-Richter peintre
Dans l’épaisseur du désir
Sabine Moritz est née en 1969 à Querdlinburg (ex RDA), est une peintre et dessinatrice allemande vivant à Cologne.
L’artiste insiste sur ses relations entre le figuratif et l’abstrait dans ses peintures. Ses sujets restent,
grosso modo, les mêmes, mais « les manières de les visualiser » changent. Ces deux modes ne sont pas vus comme de simples styles, mais comme « des formes de travail » différentes, presque des états d’esprit différents. Le figuratif lui sert parfois de « refuge » : quand elle a besoin de prendre de la distance. Selon Marian Goodman l’abstraction apparaît dans son travail vers 2005.
La peinture est scène du souvenir. Chez Sabine Moritz l’abstraction devient un dispositif « d’après-coup », le passé réapparaît sous forme de geste. C’est un lieu où se fabrique le sens. Le sens y dépasse celui du spectateur. Ce décentrement de la peinture trouble celui qui regarde, il permet un transfert. Ce qui est vu trouble ce qui est dit sur l’insistance qu’il y a de chercher une vérité, quelque chose qui est fini.
Par quelle émotion primordiale cette attirance de reconquête pousse le peintre à ritualiser puis à surenchérir ce manque, cette syncope d’apparente reconnaissance de l’objet perdu ou de l’objet d’une disjonction de l’être ? Sabine Moritz entretient ainsi une distinction entre ce qui se perd dans la déconstruction et l’état d’un sujet enclin à essaimer un coup au changement (par aveuglement, manque, ça passe par cette décharge émotionnelle), devant l’impossible impulsion qui se manifeste quand l’artiste perd le désir pendant qu’il peint.
La toile s’étend, devant, lisse et huileuse. Quelques brillances ensemencent l’ensemble encore vierge. L’artiste place les soies du pinceau devant elle, en tournoyant d’un geste troublant celui-ci. Une musique semble préparer l’invisible à quelque chose d’existant. Le pinceau affleure la trame comme pour caresser par touches vives l’huile ou les parties mates qui se côtoient. Un rouge vif apparaît, commandant d’autres gestes à venir dans l’incertitude ou la palpitation ambiante. Puis un bleu sorti d’une autre brosse, dictant un rythme du corps placé devant la toile, puis se déplace en entretenant un dialogue avec l’espace de la toile. Le geste l’enveloppe, comme pour conquérir ou retenir la couleur, et la rejeter aussi.
Sabine Moritz se pose en chef d’orchestre, régulant ses va-et-vient gestuels, ses désirs paraissent sombrer jusqu’à recouvrir d’une épaisseur cette autre figure, hasard ou scène d’une parole impossible ? L’artiste devient sujet, un combat a lieu, contre l’effacement (le refoulement). Les traces qui deviennent instantanément reconnaissables accouchent d’une transformation psychique en matière, évitant tout repérage, toute identification à une représentation figurative. L’acte de peindre devient une scène dans laquelle se rejoue une relation manquante, un dommage, une relation, un désir. L’impulsivité des mouvements est un processus psychique actif. La peinture est un acte transférentiel. Un acte qui imprime une connaissance du sujet par ce que ce qu’il manque, c’est la langue, et la langue dit ce que le désir ne peut atteindre ; à en dire trop d’une peinture qui tente de reconstituer une unité interne. Sabine Moritz ne veut pas imposer une lecture fixe, mais invite le spectateur à interpréter librement. Moritz dit que répéter, réinterpréter un motif sert à s’opposer à l’effacement. Ses toiles deviennent des « cartes mentales » où le passé continu d’agir, mais ne se laisse plus saisir sous forme d’image précise.
Thierry Texedre, le 23 novembre 2025.





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