vendredi 26 décembre 2025

L'aube de l'abus

 



huile sur toile 
sans titre (1995) 50,5 x 37,6 cm 
Miriam Cahn


 L'aube de l’abus


L’insolente conviction

trône insipide un temps

voile obscure d’une vie

conviction de la détresse

tu hantes l’errance l’abus

un peu pour aimer vidé

cœur épuisé en détresse

comme si sous la peau

se tenait l’irrespectueux

paisible ressort de la chair

toi qui tritures la liberté

te voilà jeté et compromis

aux aboiements d’un soir

dans le cirque du sexe

qui macère jusqu’à l’aube.



Thierry Texedre, le 26 décembre 2025.






lundi 22 décembre 2025

Thomas Scheibitz peintre de la chose

 



Nature morte / Zone, 2025, 180 x 270 cm


 Thomas Scheibitz peintre de la chose


Né en 1968 à Radeberg (ex-RDA) et installé à Berlin, il s’est imposé à partir des années 1990 avec une œuvre située à la frontière entre figuration et abstraction. Ses tableaux donnent souvent l’impression de représenter des objets, des paysages ou des architectures, mais ces motifs restent volontairement ambiguës, instables et difficiles à identifier.

Ses peintures nous montrent des objets flottants, des constructions sans résolution logique, et avec des perspectives décalées. Les couleurs sont sourdes ou franches, renforçant l’étrangeté des scènes. On y perçoit des échos du cubisme, du constructivisme, ou du surréalisme, sans citations directes. L’artiste réalise aussi des sculptures et des dessins ; sa peinture elle-même a souvent une dimension très « plastique », presque architecturale. Son œuvre interroge la façon dont nous percevons les formes, ainsi que le statut de l’image à l’ère contemporaine. Les tableaux résistent à toute interprétation narrative claire créant un sentiment de tension mentale. Ce peintre serait donc le « peintre de la chose » d’une intensité qui fait de l’objet une interaction entre le sujet et son questionnement. Chez Scheibitz, l’objet n’est ni un simple motif, ni un symbole lisible : il est une zone de tension, un point de rencontre entre le regardeur et ce qui résiste à l’identification. Dans ses peintures la « chose » semble reconnaissable, mais se dérobe aussitôt ; n’existe jamais indépendamment du regard qui tente de la saisir ; devient un dispositif de questionnement plutôt qu’un élément descriptif. Couleurs, volumes, plans et perspectives forcent le sujet à s’interroger sur ce qu’il voit et comment il le voit. On pourrait dire que Scheibitz ne peint pas l’objet, mais l’acte même de l’objectivation. La chose est toujours entrain de se former – ou de se déformer – sous le regard. Elle est trop construite pour être naturelle, trop énigmatique pour être fonctionnelle, trop précise pour être pure abstraction. La peinture devient un lieu de pensée. C’est là que le sujet questionne.

Chez Thomas Scheibitz la chose n’est jamais donnée, c’est un frottement entre la peinture et le regard qui questionne. Regarder c’est « regarder comme ça ». Le regardeur n’est pas extérieur à l’oeuvre. Il est pris dans une incertitude, celle de l’objet, qu’il soit en cours d’être peint dans sa finitude ou de rester dans une latence qui dévisage alors le regardeur, Picasso s’y retrouve enfin. D’accepter que le tableau soit moins une réponse qu’un état de pensée visuelle.



Thierry Texedre, le 22 décembre 2025.






dimanche 21 décembre 2025

L'incorporel

 




















Georgiana Houghton (1814-1884) était une artiste britannique et médium spiritualiste surtout connue pour ses « dessins spirites » — des aquarelles abstraites qu’elle produisait en état de transe.

Née en 1814 à Las Palmas (Canaries) dans une famille britannique, elle a ensuite grandi et vécu à Londres. Houghton créait des compositions abstraites, réalisées à l’aquarelle et crayons, qu’elle considérait comme dictées ou inspirées par des entités immatérielles.



L’incorporel


Gardé par l’esprit étendu

visage corporel du fracas

drame jaillissant du sang

sans cesse rejeté à plat

sourd courtisé à tout va

l’essence même du temps

va-et-vient âme insistante

couche du désir dépucelé

et gravir l’astre échevelé

livré aux pires détenus

divin il fuit de ces entrelas

sang disparu des flammes.



Thierry Texedre, le 21 décembre 2025.












vendredi 19 décembre 2025

Regard de l'invisible chez Darédo




















Regard de l’invisible chez Darédo ou de la prostration à l’illumination du lieu d'une peinture qui figure.


Dadéro, née en 1961 à Montpellier, vit et travaille aujourd’hui à Lodève, dans le sud de la France. Autodidacte depuis une vingtaine d’années, elle développe une pratique du dessin et de la peinture qui se tient délibérément à distance des catégories académiques, tout en engageant un dialogue souterrain avec l’histoire de l’art et les puissances qui la traversent.
Son œuvre se déploie dans un rapport tendu à l’invisible. Non pas l’invisible comme arrière-monde mystique ou symbolique, mais comme ce qui agit avant la forme, ce qui insiste dans le geste, ce qui affleure sans jamais se résoudre en image stabilisée. Chez Dadéro, la surface picturale devient le lieu d’une pression : lignes, figures, répétitions, saturations semblent surgir moins d’un projet que d’une nécessité interne, comme si la forme était convoquée pour contenir ce qui, sans elle, menacerait de se dissoudre ou de déborder. C’est le lieu d’une résurgence de la peinture prise dans l’inconscient pour le délier à partir d’un délire. Il ne s’agit pas d’un délire comme perte totale de la loi, mais d’un délire comme tentative de réorganisation. Ce qui paraît contracter un délire ici, c’est ce va-et-vient entre une certaine prostration du vécu, à l’illumination, le marquage de la peinture comme figure ; qui ne soit ni une représentation du réel, ni une charge surréelle antérieure qui bloquerait le paysage social, sa texture. 
La spontanéité qui caractérise le travail de l’artiste ici, ne relève pas d’une naïveté expressive. Elle procède plutôt d’un rapport conflictuel à la conscience et au présent. Le geste n’est pas immédiat, il est traversé : traversé par des réminiscences, par des tensions, par une mémoire non pacifiée. En ce sens, la peinture de Dadéro peut être envisagée comme le lieu d’une résurgence — celle d’une peinture prise dans l’inconscient, non pour s’y complaire, mais pour tenter de s’en délier. Le recours à une forme de déchaînement graphique, parfois proche du délire, n’est pas une perte de contrôle ; il constitue au contraire une tentative de nouage, une manière de rejouer sans cesse la limite entre ce qui tient et ce qui menace de se fragmenter.
On pourrait rapprocher son travail de certaines zones de l’art brut ou de l’expressionnisme, mais ce serait à condition de ne pas y voir une simple extériorité à la culture. Car si Dadéro travaille hors des cadres institutionnels, elle ne peint pas hors de toute conscience de la peinture. Son œuvre témoigne d’un savoir du faire, d’un rapport aigu à la surface, au rythme, à la répétition, qui inscrit son geste dans une histoire diffuse, mais bien réelle, des formes indociles. À l’automatisme libérateur des avant-gardes, elle substitue une forme plus âpre, plus inquiète, où l’inconscient n’est jamais célébré comme promesse, mais éprouvé comme tension. L’acte de peindre arrache au concret sa part maudite. L’exhortant à usurper le rêve, pour le défaire de cette gangue incontrôlable de l’inconscient. Il y a chez Dadéro une sorte d’émoi, un contrôle sous-jacent de la terreur d’exister. Ses anthropomorphismes soulignent l’indirection humaine face à la mort, à la concrétude du jeu de tout vivant dans son incarnation. 
Ce qui se joue alors, c’est une confrontation permanente entre une conscience prise en défaut — incapable de se stabiliser dans un présent univoque — et une loi qui n’est jamais donnée, mais sans cesse rejouée. La peinture devient le lieu de cette épreuve : non un espace de réconciliation, mais un champ de forces où se négocient le sens, le sujet et ses limites. En cela, l’œuvre de Dadéro ne relève ni de la transgression spectaculaire ni de l’expression cathartique ; elle travaille le bord, le seuil, l’instabilité même du rapport au réel.
Peindre, chez Dadéro, n’est pas « représenter » : c’est tenir. Tenir face à ce qui revient, face à ce qui insiste, face à ce qui, sans le geste, resterait sans forme et sans lieu. 

Thierry Texedre, le 19 décembre 2025.










 






jeudi 11 décembre 2025

Julia Rommel d'une traversée des sens

 


















 Julia Rommel d’une traversée des sens


Julia Rommel (née en 1980, États-Unis) est une peintre américaine abstraite contemporaine dont le travail a été présenté dans des musées et galeries importants tels que le Museum of Modern Art et le Whitney Museum of American Art à New York.


Elle réalise des peintures abstraites qui oscillent entre couleur, matériau et geste, souvent de large format. Ses premières œuvres étaient fréquemment monochromes ou presque, puis évoluent vers des palettes plus étendues (bleus, gris, rouges, tons vifs). Sa pratique met l’accent sur le processus physique : elle étire, coupe, ponce, ajoute et enlève des couches, laissant parfois apparaître des imperfections (bords effilochés, trous de clous, etc.). Elle cherche à déjouer des lectures trop rapides ou une lecture purement historique en « déraisonnablement » perturbant des structures qui rappellent de temps en temps des modèles modernistes. Selon certaines critiques, ses peintures ne sont pas seulement des jeux de couleur : elles rendent visible le matériau et l’objet en soi, bien plus que des émotions ou des récits traditionnels liés à la couleur.

D’un rapprochement avec Barnett Newman et Marc Devade

Barnett Newman (1905–1970) est une figure majeure de l’expressionnisme abstrait américain et l’un des principaux représentants de la color field painting (peinture, champs de couleur). Il est célèbre pour ses grandes surfaces colorées interrompues par des lignes verticales — les « zips » — créant une expérience immersive et spirituelle pour le spectateur.

Points de rapprochement avec Rommel

Engagement avec la couleur et la surface : comme Newman, Rommel travaille avec des champs de couleurs étendues, même si sa palette est plus variée et moins réduite au sens minimaliste du terme. Sens de l’expérience perceptive : Newman voulait, par la peinture, provoquer une présence profonde chez le spectateur (le fameux « sense of place »). Si Rommel ne vise pas exactement la même expérience spirituelle, sa peinture engage le regardeur dans une exploration matérielle et temporelle de la perception. Dialogue avec l’histoire de l’abstraction : Rommel affirme qu’elle modifie volontairement ce qui pourrait apparaître comme une « peinture moderniste » pour éviter une lecture trop canonique — c’est une forme d’engagement critique avec l’héritage de l’abstraction américaine (qui inclut Newman). Rommel n’est pas un « disciple » de Newman, mais sa pratique s’inscrit dans une continuité problématisée avec la tradition de la peinture abstraite américaine dont Newman est une figure incontournable.

Marc Devade (1943–1983) était un peintre et théoricien français associé à la scène artistique des années 1970, notamment liée à la Peinture (le mouvement français que Devade contribua à théoriser). Son travail se caractérise par une approche structurante et conceptuelle de la surface et une réflexion critique sur la peinture elle-même, parfois via des signes ou des structures géométriques nettes fixées de manière non conventionnelle.

Points de comparaison

Accent sur la matérialité et la surface : Devade, comme Rommel, explore l’objet peinture lui-même — ce n’est pas une fenêtre vers un monde représenté, mais une surface à penser.

Approche conceptuelle : bien que leurs esthétiques visuelles soient différentes (Devade joue souvent de structures très lisibles et Rommel de pulsations chromatiques complexes), tous deux questionnent les présupposés de la peinture moderne (composition, cadre, surface). Il n’y a pas de preuve directe (expositions, écrits) d’un lien historique direct entre Rommel et Devade comme il pourrait y avoir avec Newman et l’histoire américaine ; ce rapprochement est plutôt une résonance conceptuelle dans le champ plus large de l’abstraction critique.

Julia Rommel est une peintre abstraite majeure de la scène contemporaine, construisant son travail comme une exploration très physique et critique du matériau pictural plutôt qu’une simple continuité stylistique. Il y a bien sûr des points de contact conceptuels avec l’abstraction américaine (Newman, Rothko, les color field painters) et, plus largement, avec des approches critiques de la peinture (comme chez Devade), mais ces rapprochements sont dans une logique de questionnement plutôt que d’imitation directe.

Citations de Julia Rommel

Sur son geste, son rapport à la signature et à la matérialité :

« I’ve found myself taking elaborate steps to keep my own signature away. I still remain perplexed at my constant refusal of my own gesture, why I find it so excessive – yes it is personal, but the personal is what I am at such pains to bring out of these things, layer after layer. »
— Rommel sur son combat avec le geste et l’écriture personnelle dans la peinture.

Sur le « combat » avec la couleur et la surface :

« These new paintings expose my struggles with color – an unfamiliar battle… And then, the surface displays the unexpected history of an action, and whether the marks happened by accident or chance or absent-minded aggression, color once again has to make them work, make them belong. »
— Rommel décrit la peinture comme un espace de combat, d’inattendu et de réinvention.

Sur le processus et le contrôle :

« I am constantly battling to resist my innate obsessiveness… If I catch myself tinkering with details too much, I’m pretty sure I’m killing the painting’s energy. As soon as things start to feel too controlled, I try to throw the painting back into the unknown… »
— Ici, elle explique sa volonté de laisser surgir l’inattendu dans la matérialité de la peinture.
Sur le travail en atelier (texte de son exposition Candy Jail) :
« The truth is, I’ve had a lot of fun this year. The fun, and happiness, has sneakily persisted… What works is the act of working itself, and locating the moments of luck within. »
— Elle met l’accent sur le travail comme acte, la persévérance, et la chance qui émerge dans le processus.

La peinture n’est pas pour elle une simple application de couleur, mais une négociation constante entre contrôle et hasard, entre intention et accident, où la surface garde la trace du « combat » entamé par l’artiste.

Elle cherche à déjouer ses propres habitudes et à laisser surgir des formes et des histoires inattendues, parfois en déstructurant ce qu’elle avait initialement envisagé.

Le processus même — étirer, replier, peindre et repeindre — devient une méthode de pensée et de construction intellectuelle, presque une écriture physique.



Dans l’atelier, Julia Rommel avance comme on avance dans une pièce sombre : par tâtonnements, par hésitations, par élans soudains. La toile n’est jamais un espace docile. C’est une surface qui résiste, qui absorbe les gestes trop assurés, qui rejette ce qui est trop maîtrisé.
Elle dit qu’elle refuse sa propre signature, comme si le geste personnel, trop intime, risquait d’étouffer la peinture avant qu’elle ne puisse respirer d’elle-même. Alors elle ajoute, retire, ponce, replie, recommence. Elle traque ce moment fragile où le contrôle se dérobe et où une autre logique — peut-être celle de la peinture elle-même — prend le relais.

La couleur, chez elle, n’est jamais une évidence. C’est un terrain de lutte, un champ où l’on avance en aveugle. Un bleu trop confiant, un rouge qui bouscule tout, un gris qui refuse de se taire. Elle s’y confronte. Elle essaie, échoue, déplace, attend que la couleur accepte d’intégrer les accidents : une griffure née d’un geste distrait, une trace née d’une impatience, un trou dans la surface comme un souvenir que la toile aurait décidé de garder.

Lorsque tout devient trop contrôlé, trop propre, elle fait chavirer la peinture dans l’inconnu. Elle la jette hors d’équilibre, comme on renverse les règles d’un jeu qui s’est figé. Car ce qui compte, pour elle, n’est jamais l’image finale, mais les instants de chance, les instants de perte, les instants où quelque chose surgit qu’elle n’aurait jamais pu prévoir.

Cette année, dit-elle, le travail lui a apporté une forme de joie. Une joie tenace, presque sournoise, qui se glisse dans les plis de la couleur et du tissu. Une joie née non pas du résultat, mais du travail lui-même : parce que travailler, c’est chercher, et chercher, c’est accepter que la peinture trouve parfois à votre place.

Ici, le sas n'a de sens qu'à explorer, suturer ce sujet clos, celui d'une plaie irrésolue, l'art abstrait serait une conquête, un ersatz, un substitut, ou une peau. Le jeu formel rencontrerait sa césure, une représentation qui force le réel pour lui retirer ce qui manque au vrai, sa vérité. L'artiste s'initie, se contracte, absorbe, avale pour maudire, effluve irréelle du dire, lui substituer alors ce dire à risquer de déchirer la peau, qu'elle avance vers son désir d'exhorter et iriser la forme. La peinture rentre dans une géographie pernicieuse. Elle convoque les sens du sujet, pour jeter la couleur,  au risque d'effacer ce qui pense une localisation verbale, là, le temps sourdement en impose dans le jeu dystrophique d'un corps peint. Les sens en imposent d'une puissance, des soubresauts du regard rétroactif, rétracté et dispendieux. 




Thierry Texedre, le 11 décembre 2025.











dimanche 23 novembre 2025

Dans l'épaisseur du désir

 























 Sabine Moritz-Richter peintre


Dans l’épaisseur du désir


Sabine Moritz est née en 1969 à Querdlinburg (ex RDA), est une peintre et dessinatrice allemande vivant à Cologne.

L’artiste insiste sur ses relations entre le figuratif et l’abstrait dans ses peintures. Ses sujets restent, grosso modo, les mêmes, mais « les manières de les visualiser » changent. Ces deux modes ne sont pas vus comme de simples styles, mais comme « des formes de travail » différentes, presque des états d’esprit différents. Le figuratif lui sert parfois de « refuge » : quand elle a besoin de prendre de la distance. Selon Marian Goodman l’abstraction apparaît dans son travail vers 2005.

La peinture est scène du souvenir. Chez Sabine Moritz l’abstraction devient un dispositif « d’après-coup », le passé réapparaît sous forme de geste. C’est un lieu où se fabrique le sens. Le sens y dépasse celui du spectateur. Ce décentrement de la peinture trouble celui qui regarde, il permet un transfert. Ce qui est vu trouble ce qui est dit sur l’insistance qu’il y a de chercher une vérité, quelque chose qui est fini.

Par quelle émotion primordiale cette attirance de reconquête pousse le peintre à ritualiser puis à surenchérir ce manque, cette syncope d’apparente reconnaissance de l’objet perdu ou de l’objet d’une disjonction de l’être ? Sabine Moritz entretient ainsi une distinction entre ce qui se perd dans la déconstruction et l’état d’un sujet enclin à essaimer un coup au changement (par aveuglement, manque, ça passe par cette décharge émotionnelle), devant l’impossible impulsion qui se manifeste quand l’artiste perd le désir pendant qu’il peint.

La toile s’étend, devant, lisse et huileuse. Quelques brillances ensemencent l’ensemble encore vierge. L’artiste place les soies du pinceau devant elle, en tournoyant d’un geste troublant celui-ci. Une musique semble préparer l’invisible à quelque chose d’existant. Le pinceau affleure la trame comme pour caresser par touches vives l’huile ou les parties mates qui se côtoient. Un rouge vif apparaît, commandant d’autres gestes à venir dans l’incertitude ou la palpitation ambiante. Puis un bleu sorti d’une autre brosse, dictant un rythme du corps placé devant la toile, puis se déplace en entretenant un dialogue avec l’espace de la toile. Le geste l’enveloppe, comme pour conquérir ou retenir la couleur, et la rejeter aussi.

Sabine Moritz se pose en chef d’orchestre, régulant ses va-et-vient gestuels, ses désirs paraissent sombrer jusqu’à recouvrir d’une épaisseur cette autre figure, hasard ou scène d’une parole impossible ? L’artiste devient sujet, un combat a lieu, contre l’effacement (le refoulement). Les traces qui deviennent instantanément reconnaissables accouchent d’une transformation psychique en matière, évitant tout repérage, toute identification à une représentation figurative. L’acte de peindre devient une scène dans laquelle se rejoue une relation manquante, un dommage, une relation, un désir. L’impulsivité des mouvements est un processus psychique actif. La peinture est un acte transférentiel. Un acte qui imprime une connaissance du sujet par ce que ce qu’il manque, c’est la langue, et la langue dit ce que le désir ne peut atteindre ; à en dire trop d’une peinture qui tente de reconstituer une unité interne. Sabine Moritz ne veut pas imposer une lecture fixe, mais invite le spectateur à interpréter librement. Moritz dit que répéter, réinterpréter un motif sert à s’opposer à l’effacement. Ses toiles deviennent des « cartes mentales » où le passé continu d’agir, mais ne se laisse plus saisir sous forme d’image précise.




Thierry Texedre, le 23 novembre 2025.






dimanche 9 novembre 2025

Eva Hélène Pade et une figuration muette

 











Eva Hélène Pade et une figuration muette


Eva Hélène Pade est une artiste peintre danoise, née en 1997. Elle vit actuellement à Paris.  La peinture n’est plus cette représentation du corps où forme et sexualité, désir, ont à voir avec un regard qui traite la forme avant cette intériorité, l’invisibilité du dedans, du corps, de la matière. Ce problème de la surface est pourtant le lieu que la couleur tente de dissoudre, à passer du dessin/peint au geste/peint contenu dans la peinture moderne à partir de Paul Cézanne en passant par Paula Rego, Cecily Brown et Jenny Saville. Eva Hélène Pade peint l’invisible, ce qui socialement apparaît comme n’impliquant plus le corps comme affect, désir, illusion, dérive du véridique jeu entre le symbolique virtuel et un réel atomisé par une traversée mythique de la nudité. La peinture d’Eva Hélène Pade est une méditation sur le passage : du mythe à la présence, du corps à l’esprit, de la douleur à la puissance. Elle réinscrit la femme dans le récit du sacré, non comme victime, mais comme force spirituelle et cosmique, et fait de la peinture un rite de transmutation. Le lien social n’est plus la force qui tire le corps jusqu’à son destin, son « dessein ». Sa peinture n’est plus achevée, l’œuvre est ouverte, traversée par le temps, le vivant. Un corps n’est donc jamais fini, ses corps féminins forcent la création, la naissance y est déjà en deçà, là où le temps est encore la mémoire, avant la création.

Chez Eva Hélène Pade la couleur est couleur du devenir. On comprend la couleur parce que la figuration y est muette, elle agit parce que la couleur traite la figure pour qu’on ne nomme jamais vraiment la peinture. On absorbe les couleurs dans de légers glissements, comme on regarde la chair, la peau d’un corps féminin dans une fusion des tons contraires. La couleur n’est jamais pure, elle est mêlée, trouble, respirante. Elle agit comme un rythme organique, qui anime les corps peints comme transfigurés par la couleur. La couleur chez Pade est ontologique, elle ne peint pas avec la couleur, mais dans la couleur. La couleur est à la fois émotion, chair, et souffle vital.

S’il fallait paraphraser Rainer Maria Rilke : « Eva Hélène Pade ne peint pas des femmes : elle peint ce que signifie être traversée par la vie. »


Thierry Texedre, le 9 novembre 2025.





mercredi 5 novembre 2025

L'orifice

 





 L’orifice


Ô perle d’attraction

jambes dressées au lit

de la tempête

pousse du temps

caressé autrement

vois ce blême chant

à côté sourdement

jusqu’au jour ancré

dans ces draps désœuvrés

dressés se couchent

les seins du désert sec

fruit dressé

la peau humide

les lèvres rondes

pousse sans fin

jusqu’aux cris étouffés

sous l’antre vague

orifice décuplé

l’âme dissoute

par les caresses

avouées instables

et indiscrètes

c’est l’infini regard

qui plonge sans remonter.



Thierry Texedre, le 5 novembre 2025.



peinture : Alex Kanevsky







lundi 3 novembre 2025

Daniel Crews-Chubb peintre

 





















Daniel Crews-Chubb peintre


Daniel Crews-Chubb est un artiste britannique, né en 1984 à Northampton (Angleterre). Il vit et travaille à Londres.

Daniel Crews-Chubb peut être vu comme un héritier de Willem de Kooning en ce qu’il partage la vigueur picturale, le goût pour le geste, la matérialité de la peinture et le flou entre figuration et abstraction. Cependant, il dépasse la simple continuation en intégrant une conscience post-historique (références antiques, supports retravaillés, médias mixtes) et en rendant le processus de peinture lui-même visible sous forme d’accumulation, de collage, de superposition. En d’autres termes, alors que de Kooning se focalise sur l’acte pictural et le corps-peinture dans un contexte moderniste, Crews-Chubb élargit ce geste vers l’archéologie visuelle, les cosmologies antiques, les artefacts historiques, les divinités précolombiennes, la mythologie hellénique, l’expressionnisme abstrait, la sculpture et l’image contemporaine comme matériau. En peinture, tout se joue en même temps.

Héritière de Willem de Kooning et de la peinture baroque, Cecily Brown, de son côté, brouille la frontière entre érotisme et abstraction. Ses toiles denses, traversées de touches charnelles et liquides, évoquent à la fois orgies mythologiques, batailles ou fragments de corps. Chez elle, la peinture devient métaphore du désir, une surface mouvante où l’œil cherche sans jamais saisir. Le geste est fluide, musical, pulsionnel — un acte de sensualité picturale, s’ouvrant à l’éros du geste — autant qu’une réflexion sur le regard masculin et la peinture d’histoire. « La peinture doit être charnelle, ambiguë, pleine d’appétit. » — C. Brown. Là où Brown se livre à une sensualité picturale, où le sujet s’invite à l’érotique hystérisant son réel, Crews-Chubb détourne la tradition expressionniste vers une exploration du rituel et de la texture. Ses figures – dieux, héros, totems ou bêtes – apparaissent dans une épaisse stratification de tissus, de sable, de peinture et de charbon. La toile devient un relief, un palimpseste : le peintre y rejoue la lutte entre contrôle et chaos. Il n’illustre pas le mythe : il le fabrique dans la matière même, cherchant une authenticité brute, anti-polie. « Je peins comme on reconstruit une ruine. » — D. Crews-Chubb. Cecily Brown et Daniel Crews-Chubb participent tous deux à une redéfinition de la peinture figurative contemporaine : Ils refusent la distance ironique ou conceptuelle de la peinture des années 2000. Leur œuvre assume la présence du corps – celui du peintre comme celui du spectateur. Chez Brown, cette corporalité se manifeste dans la jouissance du regard ; chez Crews-Chubb, dans la matérialité du faire.

Ainsi, Brown resexualise le geste pictural, tandis que Crews-Chubb re-matérialise le mythe.

L’une explore l’éros du visible, l’autre le rituel du visible. Tous deux mettent en pratique l’insignifiante exploration d’une figure fragmentée par ce réel qui avalise l’éclatement du sujet, dans une temporalité que la matière travaille toujours avant toute représentation, celle peut-être d’une reconnaissance, d’un sens encore et toujours aliéné.


Thierry Texedre, le 3 novembre 2025.






Peter Reginato peintre

 












Peter Reginato peintre

De la dilution


En peinture surtout, pourquoi ce rapport philosophique entre fond et forme, c'est-à -dire ce qui du passé en l'occurrence chez Matisse ou Picasso se trame déjà de la forme entrain de démultiplier la figure dans une rythmique qui chez Peter Reginato se renversera en un risque de reconnaître l'espace d'une indétermination du fond et de la forme passées ?


Peter Reginato est né en 1945 à Dallas (Texas) aux États-Unis. Il a grandi dans la région de la baie de San Francisco (Berkeley/Oakland en Californie). Vit et travalle à New York.

Bien que souvent identifié comme sculpteur, Reginato est à la fois peintre et sculpteur abstrait. Dans ses peintures récentes, il explore des compositions abstraites avec couleur, forme, dessin — interrogeant la relation figure-fond, et cherchant à transcender certaines conventions de l’abstraction.


Chez Peter Reginato, la peinture n’est pas ce qui se montre, mais ce qui s’invente dans la tension du visible. Elle n’est pas surface ni forme, ni fond, mais la vibration qui passe entre ces termes et les rend inassignables. Ce que l’œil rencontre, dans certaines œuvres, n’est plus un espace ordonné où la figure se détache, mais une zone d’incertitude où le regard lui-même devient matière. Le fond, que l’on croyait passif, y agit comme un champ de forces ; la forme, loin de s’y imposer, s’y dissout, s’y reforme, s’y égare. Ainsi la peinture ouvre un espace où rien ne précède, où tout advient.

Ce qui se montre, c’est l’essence même de la couleur chez un Matisse, mais sans objectiver sans une reconnaissance de la forme et du contour. Les couleurs sont vives et se déplacent en blocs qui se dissolvent à mesure qu’on croit y voir une formation, un objet, une masse structurante.

Ce qui se joue là, c’est moins l’abstraction que la disparition de toute hiérarchie perceptive. Le visible ne s’organise plus selon la figure et son support, mais selon un rythme, un mouvement d’apparition et de retrait. La peinture devient un devenir, un passage continu entre ce qui s’affirme et ce qui s’efface. Dans cette oscillation, le fond cesse d’être le lieu d’un en dessous : il devient présence, souffle, champ d’énergie, peut-être même mémoire de la forme qui s’y rejoue autrement. Ce qui s’y déploie n’est pas la forme elle-même, mais le moment où elle risque de n’être plus reconnaissable. Peindre, dès lors, revient à faire exister cette instabilité, à maintenir vivante la possibilité du basculement. Il n’y a plus de ligne de partage entre l’acte et son résultat : la forme se trace dans son effacement, le fond s’épaissit à mesure qu’il se vide. Dans la matière, tout devient réversible. La couleur ne décrit plus, elle agit ; elle n’appartient ni à la forme ni au fond, mais au passage entre eux, à l’entre-deux où le visible se forme et se défait simultanément.

Cette peinture ne cherche pas à représenter le monde, ni même à en proposer une abstraction : elle pense le visible pour le diluer comme une expérience du devenir. Elle devient instabilité dans le réel, dans l’acte de peindre, dans l’être coloré. Elle ne montre pas ce qui est vu, elle montre que voir est un acte instable, un mouvement sans centre. Le fond et la forme ne sont plus des catégories, mais des moments d’un même souffle : ce qui se détache appelle déjà son effacement, ce qui s’efface prépare sa réapparition. L’espace pictural n’est plus le lieu d’un ordre, mais le théâtre d’une métamorphose continue. Le risque est là : que rien ne se fixe, que la peinture reste ouverte, traversée par ce doute lumineux où le regard ne sait plus ce qu’il reconnaît. Mais c’est précisément dans ce risque que s’invente une pensée : celle d’un visible qui n’appartient à personne, d’un espace où la forme n’est plus le signe d’une maîtrise, mais l’épreuve d’une liberté. La peinture ne dit plus : « voici ce qui est », elle murmure : « voici ce qui devient ».

Alors le fond et la forme cessent d’être des pôles, ils deviennent les deux faces d’un même acte. L’un appelle l’autre, se traverse, se dissout dans l’autre. La peinture, en ce sens, n’est pas l’art de poser des formes sur un fond, mais celui de penser le fond comme forme en devenir. Ce n’est plus un geste de construction, mais un geste d’exposition : exposer la matière à son propre passage. Peindre, c’est laisser le monde se redire sans contours, dans la lente oscillation d’un visible toujours recommencé.

Peter Reginato nous oblige peut-être à nous souvenir que l’histoire de la peinture puise dans ce qu’un sujet contemporain rencontre, puisant ainsi dans la mémoire collective et historique pour atomiser une peinture qui se montre et épuiser alors sa reconnaissance acquise. Sa dilution improvisée n’a d’improvisation que ce que le regard peut de perdre cette reconnaissance, la spontanéité du réel.



Thierry Texedre, le 29 octobre 2025.   




lundi 13 octobre 2025

L’ordination laïque chez Nathalie Bas

 



















L’ordination laïque chez Nathalie Bas


« La chose à dire existe seulement au moment où je la peins. Je suis alors vraiment dans le sujet, dans une ébullition absolue où tout est clair. » « Je construis une peinture comme une romancière. Je travaille en couche, chapitre par chapitre. Je construis une narration et, à la fin seulement du récit, l’histoire apparaît. »


Nathalie Bas est une artiste peintre française, née en 1965, réside et travaille à Arcueil.


L’ordination laïque, c’est l’organisation regroupant différents membres d’une société qui est diversement imprégnée par des codes de vie regroupant de nombreuses croyances et lois selon l’interprétation ou l’arrangement retranscrit dans la figuration narrative de Nathalie Bas.



I. L’ordination laïque : un sacré sans transcendance



L’expression « ordination laïque » pourrait sembler paradoxale : l’ordination suppose un rituel d’entrée dans un ordre religieux, alors que la laïcité en désigne le retrait, voire la neutralisation. Chez Nathalie Bas, ce paradoxe devient moteur plastique.

Ses personnages, souvent seuls ou saisis dans des instants suspendus, portent les marques d’un sacré sécularisé : une intériorité, une gravité silencieuse, une posture d’attente ou de recueillement.
Mais ce sacré n’est plus celui des dogmes : il est
immanent, incarné dans le réel, dans la matière picturale, dans le geste même du peintre.

Ainsi, on pourrait dire que Nathalie Bas ordonne le profane :
elle institue par la peinture une forme de cérémonie laïque du regard, où chaque visage, chaque objet devient relique du quotidien.
Ses œuvres procèdent d’une
ritualisation du réel sans recours à la transcendance.

En cela, son art participe d’une “spiritualité laïque” — un humanisme pictural qui accorde à chaque fragment du monde la dignité du sacré.


II. Figuration narrative et recomposition du croire



Dans sa figuration narrative, Nathalie Bas ne raconte pas des mythes religieux mais des récits humains, souvent ordinaires, où s’infiltrent pourtant des réminiscences du rituel :
– postures de contemplation,
– mise en scène frontale,
– compositions centrées comme des icônes.

Le “croire” y est déplacé : on ne croit plus en Dieu, mais en l’autre, en l’émotion, en la trace.
C’est une
iconographie du croire sans religion, qui questionne la persistance du besoin de foi dans un monde laïque.

Philosophiquement, on pourrait rapprocher cette tension du propos de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde : la modernité s’est voulue sortie de la religion, mais elle en conserve les structures symboliques.
De même, la peinture de Bas
réenchante le laïque — elle en révèle les liturgies invisibles : gestes, objets, visages, silences.


III. L’organisation laïque comme communauté symbolique



L’organisation regroupant différents membres d’une société imprégnée par des codes de vie…”

C’est exactement ce que Nathalie Bas semble observer : la société laïque comme nouvelle communauté rituelle, où les “croyances” ne sont plus théologiques mais culturelles, psychologiques, sociales.

Dans ses scènes figuratives, chacun appartient à une société fragmentée, mais partage encore des signes : un regard, un objet, un geste.
C’est cette
“liturgie des signes laïques” qu’elle met en peinture.

Là où la religion reliait les hommes à travers le divin, Nathalie Bas relie les hommes à travers la peinture — médium de mémoire, de reconnaissance, de présence.

La figuration devient alors un acte éthique : un moyen de restaurer du lien, du sens, du visible commun.


IV. La laïcité comme espace esthétique



Enfin, la laïcité chez Nathalie Bas n’est pas un thème mais un dispositif esthétique.
Ses compositions sont des espaces où rien n’est imposé — ni dogme, ni récit totalisant.
Chaque œuvre est ouverte à l’interprétation, à la pluralité du regard.
C’est la peinture comme
espace de coexistence pacifiée des croyances.

Autrement dit : la laïcité devient forme plastique —
un vide central, un champ commun où les différences s’ordonnent sans hiérarchie.


V. Vers une “iconographie du profane”



On pourrait conclure que l’ordination laïque, chez Nathalie Bas, consiste à réinvestir le profane d’une aura.
Ses œuvres sont des
icônes sécularisées, des portraits de la foi humaine en l’humain.

Cette peinture ne cherche pas à “défaire” le sacré, mais à le redistribuer — à le faire passer dans la texture des choses ordinaires, dans le grain de la peau, dans la lumière d’un regard.

C’est, au fond, une théologie sans dieu :
une peinture qui croit en la présence, en la dignité du monde, en la possibilité de sens sans dogme.



Thierry Texedre , le 12 octobre 2025.









samedi 4 octobre 2025

Les mains nues




 Les mains nues


Sur les longues jambes, glisse sa main lentement, laissant la peau galvanisée par un désir qui dépasse toute retenue. Jusqu'au pubis, les doigts s'invitent à rencontrer, autour, une pilosité fournie, la nouant en un instant, pour ravir le plaisir. Chaque va-et-vient des phalanges lascives, lentement, fait monter la tension, libère un peu plus des endorphines ; les joues rouges sont plus chaudes. Le temps semble s'éloigner, comme suspendu. Chaque partie de son corps se vivifie à l'entente, improvisant avec les caresses à venir. La nuit est en train de succomber dehors. Les premiers bruits, dans la rue, sortent du sommeil. Plus loin, le ciel apparaît comme rougi par une lumière encore irréelle. Les premiers bus sortent d'un rêve endolori. Dans la chambre, des soubresauts laissent passer un léger gémissement sorti de sous la couette enroulée. L'espace vaporeux pousse un peu l'intime jusqu'au petit matin, à chercher dans la masturbation un être sexy caché dans une hypnose des nimbes arrachés à la nudité. L'érotique mord le corps pour faire souffrir l'esprit, et le déliter, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un essai ; une saisie d'un acte interdit au réel puisqu'elle devient possible au rêve. Les mains, ses mains, elle les regarde, un peu comme des étrangères qui ensorcellent la vue, le regard impropre. Il est temps de se sortir les doigts, elle se lève et va dans la salle de bain d'un pas empressé, manquant de cogner le coin du lit en se levant. Une douleur monte comme si elle était là pour oublier la séance noctambule. Elle est déjà sous la douche, se balançant sous la pomme de douche avant de changer de main. 

 

Thierry Texedre, le 3 octobre 2025. 



 « Femme nue sur le dos, de face et les jambes écartées » Auguste Rodin




  


vendredi 26 septembre 2025

Meleko Mokgosi, l’art de l’indistinct

 













Meleko Mokgosi, l’art de l’indistinct


Meleko Mokgosi, né en 1981 à Francistown est un peintre américain d’origine botswanaise et professeur à Yale, se définit comme un peintre d’histoire. À travers ses toiles monumentales, il explore le colonialisme, la démocratie, la mémoire et la libération, en mettant sur le même plan l’histoire classique et la vie quotidienne.

Son œuvre remet en question les « grands récits » occidentaux et cherche à réhabiliter des formes de savoir marginalisées, qu’elles soient spirituelles, traditionnelles ou ancrées dans la culture africaine. Mokgosi interroge la mémoire comme construction partielle et parfois trompeuse, et considère que l’histoire humaine peut être comprise aussi en dehors du sujet humain et des cadres humanistes des Lumières.

Plastiquement, ses peintures mêlent figuration et abstraction, jeu de textes (en setswana ou en jargon académique) et images réalistes. Ces dispositifs révèlent à la fois des fractures (entre initiés et profanes, entre savoirs) et des rapprochements, en brouillant les frontières entre peinture d’histoire et scènes de genre contemporaines.

Les panneaux sont installés souvent bord à bord, ils apparaissent aussi dans un format , un agencement différent. « L'image de l'un glisse dans le panneau adjacent. »


L’artiste dit : « Se pose donc la question de savoir comment comprendre l'histoire humaine en dehors du sujet humain. C'est un sujet qui m'intéresse constamment car – je suis sûr que vous, et beaucoup de gens, serez d'accord – l'humanisme n'est pas la seule façon d'examiner le mouvement de l'histoire. Regarder au-delà des discours laïcs et humanistes a donc été intéressant ; j'ai donc cherché à identifier comment la criticité pouvait se manifester ou être pratiquée en dehors de la laïcité ou des connaissances issues des Lumières. D'autres espaces, comme les pratiques spirituelles, la sorcellerie et la médecine traditionnelle par exemple, offrent des perspectives instructives. Les ancêtres jouent également un rôle important dans notre façon d'appréhender le monde. Ainsi, toutes ces choses existent en dehors de notre compréhension immédiate de nous-mêmes en tant que sujets humains qui nous considérons comme le centre, car nous possédons une conscience et pouvons donc produire l'histoire. » … « L'objet possède son propre langage. » 


L’œuvre de Meleko Mokgosi brouille volontairement les frontières entre mémoire et histoire, entre peinture d’histoire et scènes ordinaires, entre savoirs occidentaux et connaissances marginalisées. Ses toiles monumentales deviennent ainsi des espaces de confrontation, où l’image et le texte, le visible et l’invisible, dialoguent sans jamais s’unifier. Les critiques soulignent dans ce travail à la fois une remise en cause des récits dominants et une réhabilitation de perspectives alternatives. Mokgosi affirme ainsi la nécessité d’élargir notre regard sur l’histoire, en accordant à la vie quotidienne et aux savoirs invisibilisés la même dignité que celle réservée aux grands récits officiels.





Thierry Texedre, le 26 septembre 2025.