jeudi 31 juillet 2025

Christine Ay Tjoe, d’une densité intérieure

 





















Christine Ay Tjoe, d’une densité intérieure



Christine Ay Tjoe est une artiste indonésienne majeure de la scène contemporaine, dont le travail profondément introspectif, organique et émotionnel explore les tensions entre le moi intérieur et le monde extérieur, entre humanité et nature, spiritualité et matérialité. Sa peinture, souvent intuitive, puissante et texturée, se distingue par une gestuelle expressive, des matières brutes, et une palette évocatrice. L’artiste est née en 1973 à Bandung, Indonésie où elle vit et travaille.

Peinture et technique

Christine Ay Tjoe travaille le plus souvent sur de très grands formats, créant des œuvres immersives à la densité picturale marquée. Elle utilise des bâtons d’huile comme principaux instruments de dessin, mais aussi ses mains, qu’elle emploie pour frotter, gratter, étaler la matière sur la toile. Cette relation tactile à la peinture ancre son travail dans une dimension corporelle très forte. Sa gestuelle est spontanée, presque viscérale : on y perçoit une lutte entre contrôle et lâcher-prise. Les formes qu’elle produit sont souvent fragmentées, tourmentées, évoquant des corps contorsionnés, des êtres en mutation, des racines ou réseaux organiques — des entrelacs complexes qui semblent vouloir cartographier l’invisible. Ce sont moins des représentations figuratives que des manifestations d'états d'âme, de tensions psychiques, qui s’expriment à travers un langage visuel quasiment ontologique.

Couleur et matière

Sa palette est notable : terres brûlées, gris volcaniques, noirs charbonneux, rouges rouille, couleurs qui rappellent la roche volcanique, le bois calciné, la cendre, autant de matières liées à l'origine tellurique de l’Indonésie — un archipel marqué par l’activité sismique et volcanique. Ces couleurs ne sont pas qu’un choix esthétique : elles résonnent avec les inquiétudes environnementales contemporaines, traduisent un pressentiment de crise, voire d’effondrement, sans jamais tomber dans le discours illustratif. C’est une peinture sensorielle et symbolique qui rend compte d’une trajectoire vers la destruction, ou du moins d’une lutte intérieure contre cette fatalité.

Inspiration et approche conceptuelle

Christine Ay Tjoe vient de la gravure et du dessin, deux disciplines qui ont marqué sa pratique de la ligne. Cette formation transparaît dans son attention aux détails, aux textures, à la superposition des couches. Son art explore des thématiques existentielles, spirituelles, souvent influencées par une forme de mysticisme, voire une philosophie introspective d’inspiration chrétienne et orientale, dans laquelle le "moi" (ou état moïque) joue un rôle central. Le "moi intérieur", pour Ay Tjoe, n’est pas un sujet stable : il est traversé par des forces, en constant déséquilibre, fragmenté, souvent douloureux. Ses œuvres sont donc des tentatives d’organiser ces tensions, des processus d’élucidation de ce que signifie être humain dans un monde en mutation.

Titres et mystère

Les titres de ses œuvres — souvent poétiques, abstraits ou philosophiques — n'expliquent pas, mais suggèrent… « Composition rouge », « Le camarade », « Greed and Greed », « On nous surestime parce que vous ne nous avez jamais connu »… Ils ouvrent des pistes, sans jamais enfermer la lecture. Cette ambiguïté fait partie intégrante de son langage : elle invite le spectateur à plonger dans l’œuvre comme dans un rêve ou un état mental, sans avoir de repères clairs.

Évolution

Si ses premières œuvres, influencées par sa formation en gravure, étaient plus graphiques et monochromes, son travail a gagné en ampleur, en matière et en couleur au fil des années. L’évolution plastique d’Ay Tjoe reflète une ouverture vers des compositions plus complexes, un élargissement du spectre émotionnel et narratif, tout en restant fidèle à son langage intérieur. Elle est aujourd'hui reconnue internationalement — avec des expositions chez White Cube, Sprüth Magers ou encore à la Biennale de Venise — comme l'une des voix les plus singulières de l’art contemporain asiatiqueChristine Ay Tjoe construit une œuvre puissante, à la croisée de l’intime et du cosmique, qui interroge les limites de l’être, la fragilité humaine, la mémoire et la matière. Sa peinture évoque les crises environnementales, mais surtout les tensions intérieures que traverse l’individu contemporain. Elle ne cherche pas à illustrer, mais à incarner. À travers une pratique presque chamanique du geste et de la matière, elle fait du chaos un langage, de la peinture une forme de révélation.




Thierry Texedre, le 31 juillet 2025.




 




Peinture « On nous surestime parce que vous ne nous avez jamais connu », huile sur toile 170 x 300 cm, 2015








mardi 15 juillet 2025

Lucy Bull artiste peintre

 





































Lucy Bull entre abstraction et perception



Lucy Bull est une artiste peintre américaine, née en 1990 à New York et basée à Los Angeles, reconnue pour ses toiles abstraites à la fois denses, évocatrices et organiques. Vit et travaille à Los Angeles depuis 2014



Abstraction

Lucy Bull crée des œuvres abstraites, souvent saturées de couleurs mouvantes et d’entrelacs de formes fluides. Ce ne sont pas des images que l’on "comprend", mais plutôt que l’on "traverse". Elles évoquent une sorte d’hallucination sensorielle — des "états" plutôt que des "objets". Son abstraction est moins géométrique que psychédélique, organique, hypnotique. Elle évoque ce moment où la perception devient instable, où l’œil ne sait plus ce qu’il voit — et c’est précisément là que quelque chose d’inconscient, de corporel, se manifeste.


Points d’entrée, états de conscience

Lucy Bull évoque des "points d’entrée" que l’artiste perçoit — cela semble très juste. Bull parle souvent de sa peinture comme d’un espace où le spectateur est invité à entrer, non pas pour y trouver un sens, mais pour faire l’expérience du temps étiré, du trouble, du flux. On peut voir cela comme un état de conscience altéré — un seuil, entre veille et rêve, entre corps et image, entre langage et silence.


Langage et corps, désir et manque, perception


« remettre la langue dans sa dépendance au corps, celui du désir quand le plaisir y fait défaut ».

C’est là que l’on peut peut-être approcher l’œuvre de Lucy Bull avec une lecture psychanalytique ou philosophique, à la Lacan ou à la Barthes : ce que je dis, c’est que l’image (ou la langue) ne tient plus sans le corps, que la signification se délite quand le plaisir n’est plus là pour la soutenir. Ce que Bull peint, c’est peut-être ce manque — ce lieu sans mot, sans sens, où le désir persiste mais sans objet. C’est un espace de désorientation jouissante, qui pourrait évoquer justement la perte du paradis — non pas comme mythe religieux, mais comme expulsion du sens stable, de la représentation rassurante. Lucy Bull passe de longues heures, voir des jours à peindre plusieurs toiles, sa perception, sa vision est immersive : toiles vastes, souvent hors cadre conventionnel, créant un extension de l’œil, une tension périphérique de celui-ci. Dans cette descente dans les arcanes de l’infini, dans cette tension obsessionnelle, la peinture transcende sa matérialité, son objet impossible, comme si le temps était dépassé, sans présence ; Lucy Bull alors nous montre qu’il est inconcevable de résister face à un réel qui plie le plaisir pour faire respirer un corps encore capable de rêver. S’il y va de la transe , c’est parce que la transe devient une « relique » à l’indéfinissable déclinaison du corps en tension ; dans les mains du peintre qui doit mettre un coup d’arrêt à la conscience , de sa perception.


Lucy Bull est aujourd’hui une figure montante de l’abstraction contemporaine : formée au painting gestuel, elle mêle rigueur et intuition pour créer des mondes visuels hypnotiques.

Sa peinture explore la liminalité entre chaos et forme, invitant chacun à une lecture personnelle – comme une expérience presque chamanique.



Thierry Texedre, le 14 juillet 2025.








Chant contaminé

 












 Chant contaminé


En blocs diffusion du récit décentré toujours sous les coups de buttoir indéfini de l’infiniment petit retourné rasé raréfié détourné rencontre fortuite des éléments saturés en verbe non contiguë comme si le lieu n’avait jamais été nommé ce lit qui est touché retrouvé raréfié retardé quand à sa découverte sa couche les plis de son territoire en gestation remisé ressoudé à la langue perdue de celles qu’il ne faut plus nommer dans cette mise à mort du désir clôt parce qu’il est déjà nommé avant d’avoir été identifié signes de sa substance celle d’une toxicité de la vulnérabilité humaine l’humus d’un corps d’élection qui croit que la chair existe avant de penser sa mort comme régime viral d’une source reformée reformulée renfermée mise en boite sur la langue morte du temps dissout puisque génératif la parole fuit et rend le corps à sa source une nouvelle fois la seule fois peut-être du point de vue de cette connaissance atomisée chercher ces blocs sourds d’un régime autoritaire qui vous nuit à cause de ses sens à prendre en marche la vie vertige vole au dessus de ces bombes éclatées dans les cerveaux volumineux et prêts à en découdre avec leur corporéité vide voir pour entendre et parler pour répéter sans fin cette vitesse d’extinction du monde inconnaissable voilà le parcours instruit et fléché inscrit et vautré sur les bains moussants de la terre abscons un sentiment qui s’en prend aux récits refaits d’une façade affadie tête de biais l’œil tombant par l’histoire qui se prend dans les filets du temps le temps entropique parce que couvert de couches hallucinatoires à démonter par le verbe touché en particules de l’inconscient contaminé course sans fin du grand déferlement oratoire devant une foule hirsute et affamée de cette langue morte mais pleine des images d’une ordination un jour sans fin sur les clous démasqués du ventre vide par la plaie par quelle jouissance ce corps qui danse maudit et jouit sur les errements vulvaires du traitement de la mémoire qui s’organise c’est l’affaire qui finit à des fins d’hurlements fossiles.



Thierry Texedre, le 15 juillet 2025.



Bettina Gorn

artiste visuelle

Corps de matière ( torses humains)








vendredi 4 juillet 2025

Kenjiro Okazaki : L’abstraction comme langage en suspension

 





















Kenjiro Okazaki : L’abstraction comme langage en suspension



Kenjiro Okazaki (né en 1955 à Tokyo) est un artiste japonais polymathe : peintre, sculpteur, designer, architecte, critique et même concepteur de robots Sa pratique, profondément ancrée dans l’abstraction, explore la forme, la conscience du temps et la perception humaine. Il utilise des médiums variés — peinture, sculpture, reliefs, performance, architecture et robotique — pour interroger comment nous percevons et réorganisons l’espace-temps.


Dans un monde saturé de signes, de récits et de temporalités imbriquées, Kenjiro Okazaki n’en revient pas à l’abstraction — il en repart. Ni formaliste, ni expressionniste, son œuvre s’inscrit dans une époque où l’abstraction n’est plus un style, mais une méthode d’investigation du réel.

Ses peintures, souvent composées de panneaux multiples, refusent l’unité illusoire du tableau comme fenêtre. Elles présentent un espace discontinu, stratifié, où les gestes picturaux — traînées, éclats, suspensions — ne s’additionnent pas : ils dialoguent, se contredisent, se rejouent. Rien n’est central, rien n’est figé. Chaque toile est une topographie du possible, un fragment d’un système en mouvement.

Le matériau lui-même (acrylique, gel, pigment, plastique) est traité comme une matière vivante. L’œuvre ne montre pas : elle agit. Le regard est appelé à circuler entre les formes, les silences, les titres — souvent énigmatiques — comme dans une composition chorégraphique. Cette approche, qui croise les héritages de Klee, Taeuber-Arp ou Cage, construit une abstraction polyphonique, où l’œil est sollicité comme un lecteur actif.

Mais que raconte cette peinture ? Rien, sinon le temps même de l’expérience visuelle. Okazaki ne cherche pas à représenter, mais à poser les conditions d’un regard renouvelé. Chaque œuvre est une énigme ouverte, un seuil. Elle ne signifie pas, elle fonctionne. C’est là sa radicalité : l’abstraction n’est plus un retrait du monde, mais une forme de syntonie avec sa complexité.

Ce que nous appelons encore « peinture abstraite » se métamorphose chez lui en machine perceptive, en langage relationnel. Et peut-être faut-il renoncer au mot même de « peinture » pour comprendre ce qui se joue ici : une pensée en forme, un espace mental incarné, un champ d’interactions sensibles. L’œuvre n’est plus une chose à regarder, mais une expérience à vivre, chaque fois différente, chaque fois nouvelle.


Kenjiro Okazaki ouvre ainsi une voie pour le XXIe siècle : une abstraction augmentée, narrative sans récit, sensorielle sans image, intellectuelle sans concept figé. Une abstraction qui ne clôt rien — mais ouvre l’espace du voir.




Thierry Texedre, le 4 juillet 2025.