Kenjiro Okazaki : L’abstraction comme langage en suspension
Kenjiro Okazaki (né en 1955 à Tokyo) est un artiste japonais polymathe : peintre, sculpteur, designer, architecte, critique et même concepteur de robots Sa pratique, profondément ancrée dans l’abstraction, explore la forme, la conscience du temps et la perception humaine. Il utilise des médiums variés — peinture, sculpture, reliefs, performance, architecture et robotique — pour interroger comment nous percevons et réorganisons l’espace-temps.
Dans un monde saturé de signes, de récits et de temporalités imbriquées, Kenjiro Okazaki n’en revient pas à l’abstraction — il en repart. Ni formaliste, ni expressionniste, son œuvre s’inscrit dans une époque où l’abstraction n’est plus un style, mais une méthode d’investigation du réel.
Ses peintures, souvent composées de panneaux multiples, refusent l’unité illusoire du tableau comme fenêtre. Elles présentent un espace discontinu, stratifié, où les gestes picturaux — traînées, éclats, suspensions — ne s’additionnent pas : ils dialoguent, se contredisent, se rejouent. Rien n’est central, rien n’est figé. Chaque toile est une topographie du possible, un fragment d’un système en mouvement.
Le matériau lui-même (acrylique, gel, pigment, plastique) est traité comme une matière vivante. L’œuvre ne montre pas : elle agit. Le regard est appelé à circuler entre les formes, les silences, les titres — souvent énigmatiques — comme dans une composition chorégraphique. Cette approche, qui croise les héritages de Klee, Taeuber-Arp ou Cage, construit une abstraction polyphonique, où l’œil est sollicité comme un lecteur actif.
Mais que raconte cette peinture ? Rien, sinon le temps même de l’expérience visuelle. Okazaki ne cherche pas à représenter, mais à poser les conditions d’un regard renouvelé. Chaque œuvre est une énigme ouverte, un seuil. Elle ne signifie pas, elle fonctionne. C’est là sa radicalité : l’abstraction n’est plus un retrait du monde, mais une forme de syntonie avec sa complexité.
Ce que nous appelons encore « peinture abstraite » se métamorphose chez lui en machine perceptive, en langage relationnel. Et peut-être faut-il renoncer au mot même de « peinture » pour comprendre ce qui se joue ici : une pensée en forme, un espace mental incarné, un champ d’interactions sensibles. L’œuvre n’est plus une chose à regarder, mais une expérience à vivre, chaque fois différente, chaque fois nouvelle.
Kenjiro Okazaki ouvre ainsi une voie pour le XXIe siècle : une abstraction augmentée, narrative sans récit, sensorielle sans image, intellectuelle sans concept figé. Une abstraction qui ne clôt rien — mais ouvre l’espace du voir.
Thierry Texedre, le 4 juillet 2025.
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