jeudi 14 août 2025

Alex Kuznetsov – Entre mur et méditation

 

















Alex Kuznetsov – Entre mur et méditation



Né à Minsk en 1978, Alex Kuznetsov a d’abord inscrit son nom dans la ville. Pionnier du graffiti dans l’espace post-soviétique, il a appris l’art de l’adresse directe, la nécessité du geste sûr et l’impact de la couleur sur un passant inattentif. Cette énergie urbaine, façonnée dans la vitesse, s’est métamorphosée à partir de 2010 en un travail de studio, lent et stratifié, marqué par l’Expressionnisme abstrait.

Ses toiles ne représentent rien, mais elles convoquent beaucoup. De grands champs de couleurs, des traces linéaires franches, des effacements et reprises successives : autant d’éléments qui instaurent un face-à-face avec le spectateur. Ici, l’œil n’est pas seul à observer : la surface semble répondre, instaurer un dialogue silencieux. Lacan parlerait d’« objet regard » : ce moment où ce que l’on regarde nous vise à son tour.

Chez Kuznetsov, l’abstraction n’est pas retrait du monde, mais mise en place d’une scène. L’espace pictural, frontal et immersif, agit comme un miroir trouble : il ne restitue pas une image reconnaissable, mais une image de soi filtrée par la matière et la couleur. L’objet regard — cette sensation d’être visé par ce que l’on croit observer redonne au regard cette intensité qu’il tend à rechercher inconsciemment, à trouver ce qui fait « dire » avant toute intervention visuelle consciente. Merleau-Ponty y lirait une spatialité vécue, un lieu où le spectateur habite par le corps et par l’œil. Entre ces deux lectures, l’œuvre devient à la fois lieu social et lieu analytique : un espace de rencontre où ce qui se joue n’est jamais complètement dit, mais toujours ressenti.

Cette frontalité s’accompagne d’une immersion physique. Comme l’écrivait Merleau-Ponty, voir c’est aussi habiter un espace : la peinture de Kuznetsov est une architecture plane, à arpenter du regard et du corps. Elle est à la fois lieu social – héritage du graffiti, où chaque marque est un signe adressé à l’autre – et lieu analytique, surface de projection pour l’inconscient.

Dans la lignée de Rothko, Soulages, Kiefer ou Cy Twombly, Kuznetsov travaille la couleur et la matière comme expériences sensorielles et mémorielles. Mais il y introduit la rigueur graphique et l’énergie codée du mur urbain. Ses œuvres sont des façades sans portes, qui s’ouvrent pourtant à qui prend le temps d’entrer.



Thierry Texedre, le 14 août 2025.







mardi 12 août 2025

Abstraction





























Écho intérieur de l’inaudible chez Pam Evelyn


Pam Evelyn est une artiste peintre née en 1996 à Surrey, Royaume-Uni, vit et travaille à Londres.

La peinture serait abstraite et sans violence s’il n’y avait pas cette liaison vocale avec le tableau. Chez Pam Evelyn, l’intention n’est plus ce ressenti qui inonde la peinture quand le paysage manque sa mise en tension du réel. Ce réel vient alors de manquer son but, c’est-à-dire à recadrer l’image pour envelopper le lieu, le résoudre dans le tableau, dans une réécriture du réel. Pam Evelyn, écrit, tel un écho intérieur retraduisant l’environnement en cicatrices concrétisées, de celles qui ne sont jamais imprégnées dans un paysage, du moins en lecture, en traductions instantanées. L’artiste ne dirige jamais sa peinture, elle laisse, telle l’inaudible effraction en cours, se démettre la langue en train de se délier, cette langue humide, livrant sa bouche aux vocalises du subconscient. L’artiste peint sur de grandes toiles de lin en gestes spontanés, intuitifs, en gestes qui trouble l’abstraction, soulevant ainsi ce qui est en suspens dans le paysage. La mémoire du paysage est déterminée par la concrétion de son effacement en tant que temporalité. La manipulation du paysage passe par celle du son qui charrie et enveloppe le paysage, pour dissoudre les symboles flottants qui s’y fixent. La peinture est, chez Pam Evelyn, une peinture de paysage mental enveloppant tout acte trop familier d’une peinture que l’on voit. L’artiste suggère un environnement peint qui fait écho aux risques de s’arrêter, sans jamais s’y lier, se soulever à de violentes auditions du temps présent, autre flottement de la lisibilité contemporaine. Si le mental n’est pas audible, la peinture rend compte, dans cet isolement total, d’une attention particulière à l’éloignement qu’un sujet provoque d’une peinture au paysage.



Thierry Texedre, le 12 août 2025.