mardi 8 avril 2025

La pluie de ces dames

 





 La pluie de ces dames


Tout près du site augural

le temps puise à l’infini

de ces gouttes obscurcies

l’incessante existence

qui excite les yeux

le nez repus

et les doigts glissants

on vole à droite et on lit

à gauche un petit matin

partout où se mêlent

les désaccords têtus

il se lève branché au jazz

ouvrant la petite fenêtre

au cinquième

cour intérieure

c’est le paris blessant

c’est la petite musique

en pluie marginale

qui jouit d’une soirée dépassée

dehors les lumières

se jouent des bruits

devenant insistant

les senteurs de café

jouxtent les poubelles

amoncelées en tas disgracieux

c’est la vie qui fuit

sans signes ni sens

la plaie tombe

sur des paroles

incongrues et irréelles

tout est en pointillé

au loin une femme

allonge le pas

il est très tôt encore

les pieds frappent

le sol tel un toc

usurpant l’élégance

de sa démarche

un point bientôt

on peut la suivre

dans une foule compacte

seule une couleur rouge

se détache jusqu’au

paysage d’une pluie

en pointillé

et sonne l’heureuse

formule de travers

aller où le rêve s’évanouit.


Thierry Texedre, le 8 mai 2025


 

Yves Tanguy (1900-1955)

« Paysage noir » ,1926


peintre et dessinateur surréaliste français

naturalisé américain

né à Paris, mort à Woodburg






samedi 22 mars 2025

De l'image

 



peinture de Flora Yukhnovich 
2022, huile sur toile, 185 x 320 cm




peinture de Flora Yukhnovich
2022, huile sur toile, triptyque, 240 x 474 cm

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peintures de Joan Snyder


























De l’image

Dans le retournement de l’image, une crainte latente s’immisce, celle d’une connivence involontaire qui viendrait hanter le regard. Ce regard, mis en situation de détresse, se trouve ainsi éloigné de l’autre rive, celle du rêve, qui pourtant se révèle aussi troublante et révulsive que l’éveil. Ce retournement, en définitive, entraîne une intériorité qui annule toute complémentarité, laissant apparaître un insigne, une vue de l’insignifiance. Tout semble alors se produire pour que l’image puisse être perçue. Or, en vue éclatée, l’image elle-même semble se tromper, insistant excessivement sur sa signifiance.

Dans ce jeu trompeur qui détourne son propre sujet, l’image dissimule un retour subtil vers une extension autre : celle du corps encore abscons, encore surdéterminé à voir. Voir avant l’image, voir à travers elle, voir à partir d’elle. Cet aveuglement premier, antérieur à la lettre, se manifeste par une irrépressible consternation face à la découverte de ce qui deviendra l’image, de son exposition à la lumière.

La peinture s’inscrit dans cette quête identitaire, dans cette couleur teintée d’immersion qui cherche à retenir, à tempérer, à transiger avec le temps du sujet. C’est ainsi que naît la forme, une forme marquée par l’inquiétude du vivant face à son exposition incessante, une mise en lumière qui s’acharne et finit par dégénérer. Car le temps corrode la forme, la mine et l’altère, transformant la matière en vestige, en résidu d’elle-même.

Le sujet de la peinture se révèle alors dans cette recherche constante de l’image coïncidant avec ce qui se joue dans la vie du sujet. L’image qui fascine, qui attire irrésistiblement, celle qui fait jouir et qui se déploie dans un glissement érotique. Cette identification à l’image se retrouve partout dans le réel : dans la photographie, l’informatique, les réseaux sociaux. Comme si la lumière, en remontant aux origines du vivant, éclairait un point nodal, marquant ainsi le départ d’une rencontre avec le véritable.

L’image ne saurait être une simple formule, elle est l’expression du vécu, une mise en avant du questionnement du vivant. Elle surgit du bord, de cet espace indéfinissable où vibre une effervescence inépuisable. Le bord du lieu du vivant, palpitant d’un aveuglement prêt à perçoir, mais jamais tout à fait.

Si l’artiste peintre cherche à restaurer une image qui, dans notre époque contemporaine, se met à vociférer à nouveau, c’est qu’il tente de déchiffrer les bouleversements subis par la représentation picturale. Depuis la fin du XIXe siècle, l’image a été surdéterminée par une ascension fulgurante de l’abstraction, qui s’est imposée comme une mise en question des liens sociaux occidentaux et une épreuve de la langue, notamment avec la psychanalyse. Peut-on encore aujourd’hui feindre d’opposer figuration et abstraction ?

Cette mise à l’épreuve n’est pas nouvelle. Elle se distingue déjà dans l’art baroque, dans les ellipses de Le Greco, Rubens ou Velasquez. On en perçoit des résonances jusque dans la musique de Jean-Sébastien Bach. Puis elle se prolonge dans le rococo, chez Watteau, Fragonard et Boucher, où le jeu avec la figure atteint une forme de luxuriance.

L’artiste britannique Flora Yukhnovich, née en 1990 à Norwich, nous invite aujourd’hui à reconsidérer cette syntaxe picturale polysémique. Sa peinture déploie une sensualité du regard qui se meut en ellipses sur toute la surface peinte. La profondeur s’y éprouve dans un mouvement de redressement jusqu’à l’oubli du « Je », cet indice de la perspective frontale. Les couleurs, vives mais saturées, se fondent dans un dessin volontairement indéterminable. Yukhnovich prend le risque d’atteindre la figuration en effleurant les contours de l’inorganique, puisant dans une abstraction en devenir.

Cette démarche nous conduit inévitablement à une autre artiste qui, au contraire, maximise la figure : Joan Snyder, peintre américaine née en 1940 dans le comté de Middlesex. Joan Snyder interroge la vision en l’entremêlant au discours. Joan Snyder interroge ce qui se voit à cause de la parole qui discute en trop de pouvoir peindre pour pouvoir en dire plus ; là l’artiste nous en dit long sur ces raisons d’aller y voir là où le dire qu’il soit propre à l’artiste ou dans une discussion épuise un discours : « Combien de fois ai-je eu l’impression, en discutant avec d’autres, de ne faire qu’effleurer ce qui est réellement signifié et ressenti ? » dit-elle. Pour elle, « l’anatomie du tableau, les marques, la voix, la peinture sont devenues le sujet ».

Sa peinture, marquée par l’emploi de matériaux non conventionnels (soie, toile de jute, graines, brindilles, terre, paillettes), relève du maximalisme. Le regardeur est appelé à une introspection, à une concentration sur l’espace géré par l’organique. L’aspect baroque de ses compositions pousse à une quête incessante d’une image qui ne se livre jamais tout à fait. Dans ce foisonnement d’éléments matiéristes et expressifs, l’image réelle affleure dans un jeu d’absence et de présence. Joan Snyder crée ainsi un langage pictural où la matière devient verbe, où chaque trace est un écho à une parole fragmentée, résiduelle. Sa peinture est une confrontation avec le sensible, un lieu où se révèle le dialogue silencieux entre le visible et l’indicible. C’est par un foisonnement de corpuscules et de signes sans liens que remonte à la surface par une certaine transcendance l’image réelle dont on a seulement le sentiment dans une conversation ; c’est un temps d’extase, le lieu du sujet qui rencontre sa perception, son âme et le corps désavoué.



Thierry Texedre, le 22 mars 2025.







jeudi 27 février 2025

Douleurs

 





































Douleurs : Une Exploration de la Peinture de Caren van Herwaarden




Faut-il reconnaître pour croire ? La peinture de Caren van Herwaarden nous invite à explorer cette question à travers une œuvre qui transcende la simple représentation visuelle pour toucher à l'essence même de l'expérience humaine. Son art ne se contente pas de capturer la réalité apparente, mais plonge dans les profondeurs du vraisemblable, là où la nudité du corps devient un prétexte pour explorer l'intériorité et la complexité de l'être.


La surface de la peau, souvent perçue comme le lieu unique de la nudité, est ici dépassée. Notre vision, au-delà d'un simple pouvoir de perception, est invitée à se plier à cette enveloppe corporelle pour découvrir ce qui fait que ce corps vit. Caren van Herwaarden nous montre que la véritable essence de l'être ne réside pas dans l'apparence, mais dans ce qui anime et habite le corps.


Son œuvre évoque des vestiges, une sorte d'archéologie personnelle où les couleurs et les formes se délavent pour révéler des strates plus profondes. En touchant ces intermittences, ces excrétions et récréations picturales, nous sommes amenés à relier ce corps à son intériorité, à ce qui se cache sous la surface. Le verbiage, ici, n'est qu'un prétexte pour explorer ce qui glisse et échappe à notre compréhension immédiate.


L'attention est ce qui vaut dans cette exploration, car elle est antagoniste à la superficialité. La parole, souvent extérieure, est mise en contraste avec le corps, qui se situe ailleurs, dans une dimension plus intime et plus vraie. Ce qui coince, c'est cette incapacité à voir ce "dedans" qui frôle la douleur sans jamais y pénétrer complètement. La douleur, impalpable, devient le sujet central de l'œuvre, une réalité qu'il faut saisir dans son immersion et son invention.


La douleur est ici représentée comme un cri, un suintement privé de parole ou de lisibilité. Elle est une dramaturgie à toucher, un trou béant qui nous confronte à notre propre terreur. La rencontre avec cette terreur met en suspens le risque d'apaisement, nous plongeant dans le doute et l'incertitude. Le corps, désavoué, devient un lieu de chair en mouvement, jouissant même dans la douleur.


Il y a une interférence, un couac, une thrombose dans cette représentation, comme un recul vers un sommet, le haut lieu de la mémoire. La parole y stationne le temps d'un discours disparate, tandis que la chair prend le relais pour nous irradier et nous défigurer. Nous cherchons un lieu, celui d'un paysage ou d'une peinture qui nous immerge loin de la plaie. Cette peinture est courte, distincte d'un paysage extérieur au rêve, et se déploie lorsque la douleur montre la chair en désordre.


Le temps semble absent de la douleur, qui sort le corps de sa nudité pour le confronter à sa séparation du langage, du chant, voire de la musique. Si la musique était une plaie, elle serait elle-même la douleur jusqu'à l'extrême souffrance. Un corps de musique de la douleur devient une peinture qui jette l'œil au discrédit de la vue, une lente descente aux enfers de l'aveuglement naissant.


La douleur troue le regard en son absence de réel. La réalité épuise la mise en avant du paysage, le trouble, l'inquiète, et se risque à d'infinis champs cubistes allant jusqu'à l'abstraction formelle. La douleur n'est plus simplement la déformation du corps ; la peur s'installe, s'étale dans un bestiaire où l'on entend les battements du cœur s'accélérer, accompagnés par le jazz.


Caren van Herwaarden proclame l'être dans sa nudité, non pas celle de la peau ou de la surface, mais celle de l'intériorité. Ses œuvres, souvent des collages et des dessins articulés en peinture, parfois de grands formats, révèlent des figures fantomatiques, semblables à celles de l'imagerie biomédicale. Elles nous invitent à explorer les profondeurs de notre propre humanité, au-delà des apparences.


Cette énergie qui foudroie, mais aussi qui occulte le sujet de l'œuvre, rend compte d’une causalité qui insiste sur un geste abscons, une gestualité du manque. Caren van Herwaarden clôt la douleur quand elle fait des collages comme embaumement de corps humains ou animaux. Si la peau manque, cet embaumement réincarne une couverture du réel, de la peau absente visuellement partout dans sa peinture. Cette joie à recouvrir, à couturer, laisse à penser qu’une spiritualité vient peser sur un réel exclu (sa découverte dans les plis du recouvrement), laissant à l’âme un accès dans “l’au-delà”, un ailleurs, croyance ou césure que la peinture déploie chez Caren van Herwaarden.


Thierry Texedre, le 12 février 2025.


Caren van Herwaarden

artiste peintre et sculptrice hollandaise

collages, oeuvres sur papier et aquarelles

vit et travaille à Amsterdam, hollande, en Italie,

en Allemagne et au Canada







mardi 25 février 2025

Plages

 





Plages  

 

Assis sur l’astre 

incrédule la voix ouverte 

planqué en sursis 

le regard terne 

trame de l’œil plié 

l’instinct déconstruit 

il ausculte l’or 

avant de fuir 

tout s’évade 

la peau déchire le vice 

déversé dans la plaie 

d’un sourire qu’il avale 

par quelle odeur 

ces vagues allégories 

à l’heure du défunt 

volent au secours 

du train train vide 

par ici l’envers sourit 

à cause de la main 

qui trace un rire engendré 

le sable est chaud 

par cette nuit étoilée 

un groupe en rond 

assis les jambes en indien 

pour fuir l’eau sonnante 

les tintements de la mer 

l’immersion dans ces rires 

occultes pour croire 

se frappent aux cordes 

d’un piano no man’s land  

carnation du désir 

plis en chair du dedans 

qui fuit les battements 

le cœur rythmique 

de soi vers l’autre 

le revers aux oiseaux 

le matin en sons puisés 

dans l’esprit qui entend 

sa douce douleur 

recouverte du froid 

à venir d’un crépuscule 

en droit et en foi. 

 

 

 

 

Thierry Texedre, le 2 février 2025.  

 

 

 peinture de Chae Seong Pil

Rêves de la terre

160 x 130 cm, 2024

Argile et encre sur toile





dimanche 23 février 2025

Apologue

 




 Apologue

Museler l’oriflamme de ma foi

Montrer au monde l’injustice

Défaire ce que révolte opprime

Depuis l’insoutenable réalité

Du refuge fugitif dans l’art

Atterré par tant d’intérêt au lit

De ces reliques sordides

Monstres du redressement

Indécent devant l’amour

Mis à terre et relevé dans

l’injustice du désir indolore.



Thierry Texedre, le 23 février 2025.



peinture de Francis Bacon

Trois études de personnages sur des lits, 1972

Huile et plâtre sur toile

Triptyque, 198 x 147,5 cm chacune




jeudi 23 janvier 2025

L'absence vu par Philippe Croq peintre

 






























 L’absence vu par Philippe Croq peintre


La peinture naît d’une certaine appétence à l’érection. Ce qui s’érige alors, ce n’est plus le sexe comme totem d’une symbolique de ce jeu qui entre depuis le social et qui troue celui-ci, celui d’un sujet aérien de l’être absent ou d’une faille de l’être ; c’est plutôt cette absence de sexe dans l’image.


Le temps

La transmission entre l’artiste et son public vrille dès que le public devient le publique ; c’est le lieu qui prend la relève, donne à voir quelque chose d’inadéquat, d’imprévisible et d’immédiat. S’il y a du sexe dans l’individu qui regarde, ici la peinture, c’est totalement différent quand la forme de reconnaissance passe au trip d’une pluralité, d’un lien social aussi abject que pris dans un lien une soumission.


La plaie

L’artiste semble souder cet artefact omniprésent dans la peinture, la soumission, avec une dérive programmatique de la figure peinte. Philippe Croq épuise la figure en dansant sur la toile avec la limite ainsi opérée de l’abstraction au figuratif, comme fin, limite et figure. Si un Dominique Thiolat s’est risqué à pousser la figure où la couleur n’a eu de cesse d’en apprendre jusqu’à l’époque où lumière et forme se sont croisées dans une écriture où l’automatique et le repentir sonnent l’incommunicable : c’est la plaie qui s’installe (Forme de dépliement de la couleur par sa vitesse de reprise, comme un changement de direction, un déplacement infini de ce lieu d’une peinture qui voit ce que l’œil entend résoudre par la couleur, c’est-à-dire l’impossible résistance, l’improbable « résidence » d’un accord des couleurs aux contours définis qui les annules. Le contour annule la couleur.).


L’assaut

C’est dans l’imparfait que Philippe Croq ravive formes et couleurs. C’est l’absence de lien qui oblige l’artiste à commettre ce risque d’« annuler » l’être dans sa peinture. S’il y a des caractères, des phrases dans sa peinture, l’ombre portée de la figure peinte, se soutiennent alors d’un jeu entre le vide et le plein. On retrouve comme chez Thiolat ce trait noir qui prend en charge la couleur comme pour la créer, la montrer jusqu’à sa perte. L’artiste se soutient par le souvenir d’une lecture de Cy Twombly, ou de Francis Bacon.


La perte

Combien l’absence, une petite mort aussi vont initier la peinture dans une époque contemporaine, dans sa douleur de vivre, dans l’obsession d’un rite pour opérer un traitement de l’obscur dessein qui nous sied à voir ces tableaux forniquant tant et plus avec l’insolence du peint. L’artiste nous montre des bribes de souvenirs qui passent sur la toile dans un coup de force (bribes de figures animales, humaines et végétales, des objets), un balayage ou un léger effacement. Mais encore, on rencontre parfois dans sa  peinture des titres ou mots venant interroger l’existence, le vécu, l’histoire du peintre. Une rencontre ou un cheminement mental, une sorte d’épuisement de l’image qui s’invite à trouver un lien avec la parole de chacun peut-être. « Pour créer il faut voir la mort » a dit Philippe Croq.

Cette mort, nous la concevons depuis ces peintures à l’espace polysémiques ; spatialité qui nous sonne aux oreilles depuis l’espace qui les exposent.








Thierry Texedre, le 23 Janvier 2025.


Philippe Croq (1961-)

artiste peintre

vit et travaille à Nice, France










jeudi 16 janvier 2025

Contamine





 Contamine


Trace du cœur écheveau

le trou du sang qui coule

convexe à cause du vide

la pluie tombe en sursis

recouverte d’un glaçant

regard aux sources du cri

petite polémique du son

rugit à mesurer la bouche

à couvrir une parole jetée

ça et là à cause des coups

frappés en pleins débats

qui ferme les yeux roués

par la pleine mort venue

ça tremble des os l’hostie

la bouche ouverte debout

pour avaler le corps vite

au plus vite tirer la mort.



Thierry Texedre, le 16 janvier 2025.





Le supplice de Marsyas, 1576, Titien

huile sur toile, 212 x 207 cm

la peste noire