dimanche 30 juin 2024

Compilation et dévotion

 



































Compilation et dévotion


 Si la musique de jazz signe une certaine géométrie pour Stanley Whitney, la couleur lance la grille dans le système des compositions qui structurent les peintures aux formats proches des mesures du corps en tension.

Les éléments qui forment la toile ont une similitude, la forme du carré qui rassemble différentes couleurs dans une unité qui se répète en bandes horizontales empilées jusqu’au bas du tableau, sans se limiter à une géométrie qui se fétichise dans la dévotion comme chez Ad Reinhard qui n’en finit pas de fermer la peinture au carré et à la saturation extrême des couleurs. Ici, le peintre va à la rencontre de la couleur vive, même si celle-ci en appelle une autre dans une infime digression. L’artiste prend en écharpe des peintres où la grille et la composition rencontrent l’ « inquiétante étrangeté » de la couleur traversée par la forme sa limite ou sa libération, son rythme.

Le système « d’appel et de réponse » de Stanley Whitney est une révolution dans la fabrication d’une abstraction géométrique. La géométrie et l’instinct se mêlent pour empêcher la peinture de représenter les signes d’une écriture inclusive, la peinture n’est plus une abstraction gestuelle, mais une improvisation aux méandres formels au carré improportionnel, c’est-à-dire qu’une couleur au carré est proportionnelle à la forme qu’elle prend, la couleur qu’y s’y donne d’un carré à l’autre.

Stanley Whitney imprime à l’œil ce que la forme n’a de cesse de différer à rencontrer l’œil qui fonde la forme colorée, la couleur informulée.



Thierry Texedre, le 30 juin 2024.







samedi 22 juin 2024

Shunga

 


Shunga


Par quel orage décontaminé

l'insignifiante coagulation

du corps caverneux s'enfuit


Soudé désopilant et rétréci

le dur estourbi pleure le sacré

encore recraché par l'orifice


Celui contaminé par la feuille

le couac court toujours en jets

d'une blanche parure du devenir


Congrégation d'une folie moite

touche incongrue et irrespirable

au vertige de la surdité du trou


L'asphalte pleure à fuir le noir

la comédie planifiée du verbe

fait peur à démasquer l'intrus.



Thierry Texedre, le 22 juin 2024.








jeudi 20 juin 2024

Par où, quelle peinture ?





Par où, quelle peinture ?



Si nous avons un peintre particulier à aimer ou que nous engagions notre vérité plastique vers cette résonance intellectuelle, ne sera-t-elle pas absconse ; ne nous évitons pas alors certaines ressources, dispositions qui dans cet état de fait auraient un impact déviant sur certains paramètres d' accessibilité à l'artiste aimé ou choisi en tant que domaine culturel et/ou intellectuel potentiel, démontrant par là alors maintes failles quand à la direction envisagée par nos choix ?


Les paramètres se multipliant à mesure qu'on s'exerce au risque d'ouvrir une voie, un choix insécable, celui d'une peinture ou d'un peintre ; tout est porté alors par une question qui vient en suspens au même titre que celle de ce savoir omniprésent, omnipotent dans l'intervention, le choix à opérer. On ne peut absoudre ces transcriptions sans les canaliser à cause de leur sens d'incorporation, d'introspection du sens. Si l'Histoire prend en charge une partie de certains axes du sens qu'on veut bien donner aux choix d'une unité, ici le peintre et/ou la peinture, c'est bien partiellement qu'on aura mis l'irruption du choix sur le fil de la vérité, l'art n'est alors qu'un sens « pluriel » par ce qui nous permet de répondre à ces questions d'incidence du choix d'aimer. Notre subjectivité reste clivée, par manque d'appréhension, et du retrait devant une œuvre plastique. Nous aimons souvent parce que le retrait intellectuel et moral nous montre la limite du « j'aime » et du pourquoi qui peuvent rester sans voix. On aimerait sans se poser de question. La mode ne suffit pas, pas plus que ce qui rend culturellement ces choix, comme options, comme atténuation du désir vers une simple reconnaissance. Si l'impossible choix se montre chez certains artistes, c'est pour démontrer qu'on a encore dans la langue quelque chose à dire d'extensible et d'intraduisible quand au moment de leur exposition première, sondée par l'impossible extension du même. Le différentiel n'a pas encore de « lieu », il doit se résoudre à déconstruire ce qui existe, ce que l'Histoire a rendu à la pluralité des voix, des « êtres pensants ». Un passage, une saignée est possible entre Ad Reinhardt et Julie Mehretu, entre l'art pariétal et Pablo Picasso, etc. Sans fin on peut s'y promener après-coup. L'émotion (Helen Frankenthaler) peut très bien déconstruire une abstraction en peinture (Alexandre Rodtchenko) ou le minimalisme (Donald Judd). Écarts sans doute énigmatiques au premier abord, mais qui dans l'insertion artistique met en avant le va-et-vient culturel et émotionnel d'une peinture polylogique.

Les pulsions démontrent que la peinture est un rite, un passage, une insertion vers un au-delà, une métamorphose. Si l'Histoire est un repère, les sciences on une certaine autorité sur la direction phénoménologique de la peinture. La peinture prend en écharpe la matière et son sujet comme liens indéfectibles de toute résolution picturale. Si on rencontre la musique dans l'art de peindre, de composer (Vassily Kandinsky), on reste imprégné, littéralement plongé dans la matière et dans ses méandres, lieux de l'inconscient (Jackson Pollock). Le sujet est un terrain qui met en exergue une représentation trop investie par les agencements mnémoniques (le surréalisme). C'est pour cela que Barnett Newman a inventé la peinture d'un sujet en procès. De grands aplats de peinture monochrome séparée par un « zip » marque résiduelle du sujet qui s'est mué verticalement pour parler et pour voir par associations. Un choc qui n'a eu aucun bouleversement dans la migration sociétale contemporaine. Si la peinture nous propose alors un rêve une attractivité compensatoire d'un manque ou d'une mort de la religion, c'est dans la poésie que va s'ouvrir une révolution, celle intronisant le jeu de la folie (son théâtre), et son double le sujet (Antonin Artaud). La peinture, va-t-elle, d'une certaine peur vers la lente agonie qui montre alors la capacité à surgir hors d'une mise en

tension dans la matérialité ; ce serait une mise en pratique dans une métamorphose, une dissolution d'une partie du présent. La peinture inaugure donc un théâtre, une scène, une actualité, mais pas seulement. Elle est cette reconnaissance de l'incertain, du délit de surreprésentation, comme acte manqué d'un réel en train de charger le sujet de cette pluralité dont il est question dans le social, celui d'une composition, un peu comme une musique pour tous.

Quelle peinture, sinon celle dont on n'a pas encore évalué la portée, l'imminente révélation d'un acte d'authenticité du geste, on verrait quelque représentation, des couleurs aux formes, et du format sans jamais soulever le problème du chemin à emprunter. Question de signe, d'empreinte, d'écriture, d'accouchement, de chasse, d'évasion des lieux de souffrance du corps, des sillons spasmodiques des savoirs paradoxaux aux cauchemars d'une humanité aléatoire. L'ombre portée vaut-elle le coup d'être vue ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une annonciation, celle d'un corps et d'une âme qui cohabitent d'une montée vers cette vérité accouchée ?



Thierry Texedre, le 20 juin 2024.




Louis Cane « Annonciation / Assomption » 1984, huile sur toile, 230 x 220 cm






 


 

jeudi 13 juin 2024

Entre deux

 




Entre deux


Au plus haut de l'éternité

sous un soleil noir

la vie s'empare du sacre

la vie regarde derrière et depuis

l'aube des temps rit en souveraine

partout où l'amour ne peut s'éterniser

en chemin au plus vite

la vie sourde s'enfuit

pour ne pas toucher les astres

vertige du départ naissance

du regard sur l'autre aimée

en caresses le toucher frôlant

le désir inassouvi de la peau

que ces seins soudain se soulèvent

pointant l'aurore si rose vers l'amant

aux mains qui descendent

vers le grand déferlement

pour toucher l'antre du plaisir

le jeu de la jouissance emporté

jusqu'au ciel déshabillé

d'un trop grand déchirement

en vagues déferlantes

du doute de ce vague à l'âme

l'enfant bien disposé voit tout

dieu que c'est beau

l'envie qui sort de ces entrailles

pour occulter les impénétrables

divagations de la tête

au milieu en plein coma

faut-il déshabiller l'esprit

en lamentations lumineuses.



Thierry Texedre, le 13 juin 2024.





mardi 11 juin 2024

Du m'aime en excès

 

 

Du m'aime en excès



L'irruption dans la déférence

voilà l'ignominieuse peinture

qui interfère avec l'écriture

de sa constitution inassouvie

la peinture se croit la même

hélas le temps s'en sera vidé

de cet Ignace et ignardise

maîtresse tirés aux extrêmes

c'est quoi un plaisir dans l’œil

c'est quelque chose d'inachevé

c'est prendre la mesure unique

c'est mentir surtout pour s'en

tirer du saccage qui a lieu ici

graduellement quand cherche

à se montrer une peinture qui

n'en peut plus de tous ces maux

qui maudissent la langue entrain

de se faire en trombe décapiter

court-circuiter par l'image suave

c'est là le nœud dans la langue

pour promulguer ce même sorti

de l'insignifiante exagération

en tous sens de la vie qui fuit

son excès le dire imperturbable

et distendu à cause du temps

en trop à chaque fois qu'on aime

ce même parce qu'on haï à n'y

plus tenir de cette place du même

de l'implacable détournement

du verbe en peinture de ne plus

le voir ce verbe si ce n'est encore

et encore le signifier ce verbe

pour être vite vital de l'assumer

ce verbe fait chair pour la peinture

un jour puisqu'on n'a pas su dire

en bien pour en finir avec le mal

la peinture montre ce peu d'air

respirationde la dépense ce qui

pense en trop ce qui est pluriel

ça démontre là que ce qui noue

est ailleurs et pourtant partout

en nous de notre corps poussé

c'est là où une musique joue

ce cri du rachat contre le peint

en trop ça efface ça sent ce sang

le peint déversé en flots telluriques

en trop plein d'incrédibles lieux

du plaisir qu'il faut y retourner

se retourner l'indécence du sang

du sans fin jeté au milieu de la vue

qui jouit surannée par quel

tour de passe-passe la peinture

s'y retrouve quel cadre découpé

pour oublier oblitérer la langue

une dernière fois la débusquer.



Thierry Texedre, le 11 juin 2024.







samedi 8 juin 2024

L'étreinte d'un texte insouciant

















L’étreinte d’un texte insouciant


Couvert, voilà comment ça résonne le texte s’en prend à quelque chose de sombre dépourvu de carté, on ne sait pas ce qui s’y cache, encore moins de ce que ça parle. Et pourtant, on s’y met, on essaye de dire quelques imprécisions, certainement pas encore quelque vérité ou reconnaissance que ce soit. Le ton est donné. L’approche est telle que les sons qui s’en dégagent la montre bien dans un rapprochement avec une idée en cours, un simulacre de sens, une disposition qui fait sens, mais si on répète, c’est pour se prendre dans les filets du sauvetage, une certaine insignifiance est en cours d’attractivité. Si ça peut avoir l’air d’être ce qui nous sied du nom, nommer l’image qui s’avance comme un rêve dont on retient les éléments constitutifs d’un malaise ou d’une jouissance, ça ne veut pas encore dire ni être dans l’exacerbation du tiraillement intérieur qui nous emporte. L’extériorisation du songe en réel s’y invite dans une étreinte des plus captivante, l’œil y est encore pour quelque chose à cause de notre dystrophie ; un corps parle à trop voir dans l’insouciance verbale digressive, différée à entendre les sons de sa grammaire prise dans l’étreinte de sa musique hyperbolique. Si la grammaire empêtre les sons d’une texture verbale, c’est parce que leur immédiate impulsivité règne en maître dans un savoir à rebours, une sorte d’embrun répulsif que toute textualité emprunte pour donner sens à ce régime d’averse verbale véridique, pour emprunter ce nouveau et immédiat chemin, un présent de lecture. Une lecture s’en suit comme mise en érotisme du verbal traduit de ces sons qui sonnent l’atermoiement comme de l’irréductibilité des sons à la lettre. Un autre temps est à l’œuvre dans l’ignorance de cette somme érotique d’un texte. La peinture est suspensive (effet qui permet qu'il soit temporairement fait échec à son exécution).

On voit là l'étreinte se manifester, parce qu'un texte est toujours pris dans l'insouciance d'un érotique du désir transfiguré par l’œil en peinture. Quelle que soit l’œuvre, réalisée, sa connaissance revient toujours à l'infini sur un sujet qui pense sans pour autant traduire ce qu'une langue a de commun dans la peinture qui s'ouvre au réel, au temps présent sans cesse remis sur le métier ; respiration modulaire de la peinture qui veut s'en sortir du vertige verbal.

Cette absence de texte dans la peinture brûle la différence entre figuration et abstraction, elle déchire la douleur qui fait taire cette distinction ; il y va peut-être davantage de l'abstraction si par nature l'absence est abstraite. Tout récit va donc s'émanciper, attractive, et à trouver dans la douleur cette absence. Par là, une peinture peut s'envoler dans des illuminations sans fin, laissant à la parole et au texte une puissance pour montrer un récit tuméfié, découpé, jouissif, érotisant jusqu'à la figuration même, si celle-ci se jette dans les enfers du jeu social ambiant. Toute peinture en sortira plus ou moins livrée à l'inconnaissable, là est son jeu et sa reconnaissance du réel.



Thierry Texedre, le 7 juin 2024.




John Goetz est un artiste peintre et sculpteur suisse né à Bâle (CH) en 1954. Vit et travaille au Canada et à New York



 

mardi 4 juin 2024

De la jungle au blanc du peintre

 















De la jungle au blanc du peintre


Humer, flèche dans un tir singulier, sous les herbes indistinctes, l’heure est sans fondement. Ni jour ni absence de couleurs quand on ne voit pas encore, le temps s’évanouit lentement pour chasser ce qui reste de mémoire, vers cette impossible exportation du sens. L’envers réapparaît, comme si la syntaxe prenait l’eau à trop se déliter. Point de boussole, puisque le nord est confondu avec le haut. Ça transpire l’éloignement, l’ensemencement, odeurs de la pleine lune qui tombe de haut. Les sons ressortent du ventre de la terre, peut-être aussi du ventre de ces corps trop nus pour être crédibles. Jusqu’où ira cette intériorité qui s’évade, sort de la tête en mal d’osmose, de résurrection, ça sent la levée des corps. Des voix s’élèvent comme pour appeler, un cri déplié, qui vrille, sourdement, il met en mots sa douleur. Un point de non-retour dans l’envers, comme pour essayer de penser ce qui pend devant, depuis l’origine du monde. Ça triture les onguents, les plaies s’installent tels des vertiges quand un trou vient à manquer pour sortir du noir et jouir quand même. Animalité sans frein, le corps commence à ressembler à de la chair, pourvu que ça pense un peu maintenant. Des branches, feuilles, terre, eau qui tombe, les lieux sont dispersés et dispendieux. Le rêve rend compte de ces masques émasculés partout, quand on croit penser. L’insensé est un lieu voir un lien pour essayer de trouver l’immobilité dans la langue qui naît depuis ce qui revient au futur. Ça respire plutôt mal quand on reconnaît l’ultime exercice de la lecture. Il y a comme une trouée dans ce ciel proscrit, trop bleu pour commencer à faire de la peinture, trop jeune, c’est ça. Il a tiré pour attraper ce qui crie trop fort. Non pas pour manger, il s’adapte à tout peut-être, la chasse n’est pas encore celle de la chair. Ça va durer longtemps encore cette chair, à force de la découper, jusqu’à la dissoudre dans le verbe, elle risque de se retrouver décharnée, jusqu’à l’os, jusqu’au corps dématérialisé, jusqu’à cette adresse qui vaut à nouveau une absence, un manque, une langue raturée à cause de la mise à mort de la chair à représenter le même, là où il n’y a que différence. Ici des plages comme si la vie se soulevait marécageuse, tout autour, l’eau en densité, promène des syllabes jusqu’au bord, un bord d’où sort la vie pour régler le problème de la respiration. En immersion, les poumons toussotent, et puisent dans l’air un volume sans nul doute pareil à celui de l’eau. Des membres forcent, les battements des nageoires chassent du terrain ce que la peinture ne finira jamais de retrouver, l’aire, la surface indélébile du temps. La peau doit s’épaissir pour éviter les plaies, la pesanteur plombe tout effort, des baies plongent sur l’animal qui avance. L’artiste aussi avance, attachant une trace au risque d’une quelconque profondeur. S’il n’y a pas de sens, c’est pour mieux respirer, sortir avant de se faire toucher par le point final. Une musique martèle en vibrations saccadées le sol, on y va comme si la musique allait sortir de cet exercice d’avancement du sens, c’est ça la musique, on doit avancer vers sa sonorité dans la chair, ça fait mal à avancer dans la jungle des sons et des concrétions brunes, la lumière prend forme, les ombres ne sont pas encore représentées dans la peinture, et puis l’œil ignore encore ces rondeurs qui se croisent en pleine lumière, le blanc touche à sa fin si l’œil voit, le regard aime déjà tout contre ce corps mis à nu parce qu’il est toujours présent dans la peinture, même si l’encre a choisi un autre chemin que celui de l’écriture.



Thierry Texedre, le 2 juin 2024.


Anaïs Vindel

artiste plasticienne

vit et travaille à Bordeaux, France