mardi 4 juin 2024

De la jungle au blanc du peintre

 















De la jungle au blanc du peintre


Humer, flèche dans un tir singulier, sous les herbes indistinctes, l’heure est sans fondement. Ni jour ni absence de couleurs quand on ne voit pas encore, le temps s’évanouit lentement pour chasser ce qui reste de mémoire, vers cette impossible exportation du sens. L’envers réapparaît, comme si la syntaxe prenait l’eau à trop se déliter. Point de boussole, puisque le nord est confondu avec le haut. Ça transpire l’éloignement, l’ensemencement, odeurs de la pleine lune qui tombe de haut. Les sons ressortent du ventre de la terre, peut-être aussi du ventre de ces corps trop nus pour être crédibles. Jusqu’où ira cette intériorité qui s’évade, sort de la tête en mal d’osmose, de résurrection, ça sent la levée des corps. Des voix s’élèvent comme pour appeler, un cri déplié, qui vrille, sourdement, il met en mots sa douleur. Un point de non-retour dans l’envers, comme pour essayer de penser ce qui pend devant, depuis l’origine du monde. Ça triture les onguents, les plaies s’installent tels des vertiges quand un trou vient à manquer pour sortir du noir et jouir quand même. Animalité sans frein, le corps commence à ressembler à de la chair, pourvu que ça pense un peu maintenant. Des branches, feuilles, terre, eau qui tombe, les lieux sont dispersés et dispendieux. Le rêve rend compte de ces masques émasculés partout, quand on croit penser. L’insensé est un lieu voir un lien pour essayer de trouver l’immobilité dans la langue qui naît depuis ce qui revient au futur. Ça respire plutôt mal quand on reconnaît l’ultime exercice de la lecture. Il y a comme une trouée dans ce ciel proscrit, trop bleu pour commencer à faire de la peinture, trop jeune, c’est ça. Il a tiré pour attraper ce qui crie trop fort. Non pas pour manger, il s’adapte à tout peut-être, la chasse n’est pas encore celle de la chair. Ça va durer longtemps encore cette chair, à force de la découper, jusqu’à la dissoudre dans le verbe, elle risque de se retrouver décharnée, jusqu’à l’os, jusqu’au corps dématérialisé, jusqu’à cette adresse qui vaut à nouveau une absence, un manque, une langue raturée à cause de la mise à mort de la chair à représenter le même, là où il n’y a que différence. Ici des plages comme si la vie se soulevait marécageuse, tout autour, l’eau en densité, promène des syllabes jusqu’au bord, un bord d’où sort la vie pour régler le problème de la respiration. En immersion, les poumons toussotent, et puisent dans l’air un volume sans nul doute pareil à celui de l’eau. Des membres forcent, les battements des nageoires chassent du terrain ce que la peinture ne finira jamais de retrouver, l’aire, la surface indélébile du temps. La peau doit s’épaissir pour éviter les plaies, la pesanteur plombe tout effort, des baies plongent sur l’animal qui avance. L’artiste aussi avance, attachant une trace au risque d’une quelconque profondeur. S’il n’y a pas de sens, c’est pour mieux respirer, sortir avant de se faire toucher par le point final. Une musique martèle en vibrations saccadées le sol, on y va comme si la musique allait sortir de cet exercice d’avancement du sens, c’est ça la musique, on doit avancer vers sa sonorité dans la chair, ça fait mal à avancer dans la jungle des sons et des concrétions brunes, la lumière prend forme, les ombres ne sont pas encore représentées dans la peinture, et puis l’œil ignore encore ces rondeurs qui se croisent en pleine lumière, le blanc touche à sa fin si l’œil voit, le regard aime déjà tout contre ce corps mis à nu parce qu’il est toujours présent dans la peinture, même si l’encre a choisi un autre chemin que celui de l’écriture.



Thierry Texedre, le 2 juin 2024.


Anaïs Vindel

artiste plasticienne

vit et travaille à Bordeaux, France







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