lundi 24 octobre 2022

De l'invisibilité ou le corps sans nom des peintures de Pia Fries























De l'invisibilité ou le corps sans nom des peintures de Pia Fries

   

Entretenir une relation, un va-et-vient incessant au milieu même de cette dérive du peint, pour couvrir tout le spectre de ce non-sens du « vrai », le résoudre, le rapporter au milieu du dessein qui inaugure l’œuvre d’une création intemporelle. Le ramener, « aller le chercher » comme on dit, pour attenter au corps d’écriture, le maudire, le sacrifier (rejet, pour mieux résoudre l’énigme d’un corps d’écriture devenu l’image plus que la chair qu’une peinture peut de ne plus signifier tout sens), invitant toute écriture à le rejoindre. Couper dans l’écriture pour montrer qu’une peinture existe, à ne démontrer que de son corps la chair de la chair tient bon. C’est l’incertitude d’une apparition qui frôle le corps de la peinture. Comme si l’indécence de la naissance remontait. Fond incompressible du corps, d’un corps sans nom.


Ici, la mémoire prend en charge l’inadéquation d’une vérité qui solderait la conscience dans une annonciation sans partage ; le partage n’étant possible qu’à naître dans une intermittence de l’écriture et de la peinture, comme disposition d’une temporalité sans cesse démontrant la fuite en avant de toute image, sauf à la laisser tomber sur les rebondissements assourdissants des ondes lumineuses où rien ne se tient de la peinture, où rien n’est lié à l’audible, où rien ne peut se dire, sinon se livre dans une usurpation, un détournement du sens. La pensée « gnose » la chair jusqu’à l’oublier (manques, saturation et nausée, vomissements en mots illisibles se déversant sur une peinture qui semble naître), pour vaincre cet asservissement au nom. L’énonciation n’est plus le lieu d’un nom, mais rencontre dans un corps-à-corps avec la peinture, cet esprit, point d’accès, rituel, au risque toujours démesuré depuis l’origine, cette grande mémoire. Mémoire d’une éruption où aucun corps d’écriture ne sera le lieu, d’une peinture où l’image se produit, comme d’une certaine finitude inopérante. L’invisible se meut pour que se risquent l’être et le non-être. D’un lien qui referme cet infini objet en « chose » pensée comme l’affirmation et l’extension d’un « lien social » (qui nous abreuve de ses finitudes). L’itinéraire d’un corps n’est pas celle d’un assujettissement au verbe, mais celle qu’une déconstruction aura à soustraire aux codes et lois ce corps, pour lui restituer l’origine, avant l’être ; quand une peinture peut faire s’émouvoir le peintre au plus loin d’une mémoire qui referme le réel sur ce qu’il en est du vrai. Un corps né pense parce qu’il peut reproduire, organiser, « mettre en sons » les mots devenus irrecevables (un inconscient, le non-dit, puisque c’est déjà irrecevable à le dire pareille.) à saturer « le sens » et l’identification. Une reconnaissance verbale a donc lieu, comme pour annuler celle-là antérieure. Ce corps ira maltraiter et/ou travailler les mots en un rassemblement, un corps, et le reconditionner pour communiquer enfin. Un corps n’est pas seul, quelque chose le traverse, l’autre s’en mêle, représentant ce quelque chose d’une mémoire qui s’étreint avec un corps double. Une lutte incessante commence au moment où le regard divise ce sens, sépare pour représenter. Il y aura la formation d’un nouvel être.


Je veux savoir ce qu’il en est de cette peinture, de ce désir, parce que je sais que je crois. C’est un coup de foudre. Le besoin de croire est pré-religieux, pré-politique, il s’identifie à un tiers, à un nom. C’est une histoire d’émoi, mais pas seulement, c’est une translation. Le sujet cherche à résoudre cette invisibilité qui pousse à croire. Le « nom » peut s’identifier à mesure qu’on déchiffre ce qui influe sur ce ressenti, éprouvant ainsi la manière dont les figures sont représentées. On y verra apparaître des bribes végétales, des fleurs, de l’écorce, certaines images noueuses comme des méandres, des aplats de peinture pure, et aussi la nature humaine ; le corps humain est recouvert de fines grilles. Sur la toile, se déplacent ces formes en apparition ou disparition selon qu’on entre dans le fond ou sur le devant de la peinture. On croirait presque des peintures de Sam Francis. Le mouvement de la peinture emprunte à des torsades et des volutes combinant des couleurs intenses sorties du tube, à des formes plus reconnaissables embrassant ainsi la réserve du fond (une certaine réserve des couleurs) à découvert et le plus souvent blanc, une sorte d’absence un manque mental, tel « un blanc », d’où s’échappent ces bribes figuratives (d’où semble se côtoyer les couleurs souvent ciselant et cisaillant la toile, mais encore se partageant le fond blanc à égalité de vision). C’est un signe, celui de la vie. Du côté de la matière colorée, pas tout à fait abstraite ni trop figurative, un relief redondant se décline sur la toile. Ces œuvres abstraites se transforment en tableaux-objets. C’est tout cela la peinture de Pia Fries héritière de Gerhard Richter.



Thierry Texedre, le 7 octobre 2022.


Pia Fries (1955-)

artiste peintre Suisse

vit et travaille à Düsseldorf et Munich







 

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