Andréa Belag est une artiste peintre américaine née en 1951 qui vit et travaille à New York. Sa peinture resplendit par ses enchâssements picturaux qui s’effacent, pour laisser des formes colorées se montrer au bord d'un blanc hors du temps.
L'abstraction s'étend et s'étire sur de grands formats, selon que l'artiste utilise le lin ou le bois comme support à la superposition d'aplats de couleurs translucides dans un premier temps, puis opère par ces recouvrements sensuels d’immenses échanges formels jusqu'à une reconnaissance parfois floue et pleine d'indifférence formelle, ou insistant sur des formes usuelles pour tirer la peinture hors d'une intention visuelle fermée. On entre dans ces peintures par une communion intérieure qui sans cesse interroge l'esprit sur sa dispersion entre le visuel et l'inquiétante étrangeté du mouvement d'empressement pour sortir de ces formes gestuelles, par les couleurs d'un « regard intérieur ». De ce que peut scinder l'esprit contre la dispersion visuel, et par là, se risquant à reconnaître un sens dans des formes instables, dans un flou visuel permanent. Il y va d'un équilibre dont la permanence équivaut au risque que l'esprit permet d'étreindre la couleur et la forme en délivrant un temps, sur la toile, cette érotisation qui pousse l’œil dans ses retranchements les plus insatisfaits.
Comme pour balayer d'un revers de la main le souffle divin.[Dieu ne serait-il jamais mort, faut-il montrer Dieu comme la langue nous le donne à voir ? Princeps religieux de l'Unique révélé en trois personnes transcendé dans le fils par l'Esprit Saint. Saut dans la langue, parole de l'incomplétude résolution du déroulement de l'inconnaissable ; l'Histoire serait plus helléniste que monothéiste. Dieu est un lieu, le lien par une parole du voir l'Être de l’existence, la mort serait alors à jamais vidée de sa substance, vouée à l'écart de l'être, intérieure à la peinture.]
Le peint ose se fondre dans les foudres d'un abîme démoniaque. La peinture se rebelle, s'extasie, se tord, annonçant haut et fort ce qui va devenir sa terreur, notre terreur d'exister.
L'immense champ visuel et formel s'écartant, insistant sur l'instant insaisissable d'un néant représenté par le blanc de la toile, s'étale, s'installe, entre forme et couleur, « caressé par un subterfuge, celui d'Eros ». Si l'enfer ici, n'est plus à la hauteur d'une peinture, c'est pour ouvrir à la peur de rester dans l'enfer et d'en sortir, dans la violence du choc des couleurs avec l'esprit de la forme, celle-là même que les hommes ont fait qu'aucun champ n'a plus le plaisir comme libre « dépliement ». L'être-là se dissout dans un discours pour montrer la terreur d'un retournement visuel, à y voir quelque chose qui n'a pas de lieu ni d'être. État du peint damné, d'une démesure du négatif, d'une compromission par un floutage des couleurs. L'artiste s'en sort. Acrobate résolu au dialogue et à la perméabilité avec un public en état de dissolution. On entre dans cette peinture en opposition à toute abstraction, mais on en ressort en biffant, rayant ce qui se figure, ce qui meut en nous toute forme, toute perspective d'en voir l'au-delà, une sorte d'attraction visuelle de la résistance rétinienne. L'artiste pose les bases d'un combat. Le hasard des rencontres dans le vide blanc (le fond est un reliquat, une mémoire perdue de l'infini, montré sur la toile par le peintre pour éclater l'espace en zones où figure et fond entrent en collision, espace théâtral qui supprime les figure donc le fini.) fait remonter cette somme des couleurs, jusqu'au risque d'un signe, celui d'une étreinte, d'un enfer de la jouissance. Faut-il encore qu'un peintre montre l'importante nécessité de peindre pour effacer « l'oubli » que l’œil imprime sur la toile ? La peinture ne tombe pas du ciel. Elle donne à voir ce que l'histoire déforme, à ce qui nous lie au vivant, ou plus exactement ce qui nous délie de nos actes manqués, mais encore ce qui nous encre dans de nouveaux espaces informels ? Nourritures que nos esprits déchirent lentement jusqu'à l'outrageant raisonnement du visuel. Origine quelque part, pas si éloigné d'un Sam Francis qui privilégia l'action painting jusqu'à un point de perversité dont on aura mesuré la limite ici, dépassée par une mise en mémoire tampon du mouvement gestuel du peintre dans l'infini.
Ce qui nous appartient là, chez Andréa Belag, c'est ce qui nous apparaît, dans un moment interminable, c'est de laisser vibrer notre émoi devant le combat qui s'amorce, titanesque : la couleur et la forme ne sont que des morceaux d'infini. Le chaos de ces limbes s'éloigne à mesure qu'un corps de la dépense force la vision jusqu'à cette temporalité de l'esprit vouée à toute réception.
Thierry Texedre, le 2 septembre 2021.
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