Coupe du corps
De l’incarnation
Suintement, sans cette réverbération qui nous tanne, la peau glauque sort de sa gangue, comme si de caresser la peau ça avait une incidence sur le plaisir de se couper. Lassitude de la peau qui saigne sous les coups de force de la main indiscrète. Elle tape sans relâche, laissant sans voix le haut du corps dénudé. Les bras retombent le long du tronc, laissant libre l’espace autour, un peu comme si on empêtrait la bonne marche ; c’est la tempérance d’un acte normal du fonctionnement du corps. Un matin, peut-être, au réveil, ça prend forme. Les bras se dispersent, se développent pour s’étirer, gonflent le corps, et retombent avant que les jambes ne soient incitées à sortir de sous les draps. D’un coup, le drap du dessus est retiré, au pied du lit, tout froissé ; il y a comme un désintérêt à plier à se plier à quelque ordre. Le blanc des draps est parsemé de taches rouges ressemblant à une duplication, une réplique, un collage parfait à ces coups au corps. Il se dresse debout à côté du lit, nu aussi, la nuit devait être chaude. En face, un miroir laisse apparaître une silhouette qui se retourne de trois-quarts comme pour faire voir des fesses rondes et un profil plutôt mince. Le haut du buste laisse entrevoir une redondance des seins. Des blessures aussi, comme des ratures, des rayures apparaissent un peu partout sur le corps, dévorant son image. La douleur semblait inévitable, réelle, du moins, pouvait on le prétendre. Peut-on encore parler de trauma ? La scarification ose une certaine condescendance avec le désir d’avorter la douleur pour expurger le dire de sa démoniaque exactitude de sa mise en abîme de la pornographie, comme d’une incarnation de l’imaginaire du trauma. Au départ, il y a une certaine intolérance au même, ce corps-cavité qui sourdement s’en remet à la dramatisation pour qu’un viol de la chair donne le la, épuisant ainsi les points de fuite, la perspective d’une chair incarnée, de la représentation qui n’est qu’une fausse invention, une fausse création, copie doublure du temps qui n’est pas prédictif ni vécu comme un réel. Un réel n’a de valeur qu’à être reconnu, puis « solennellement », il est dévié de sa tragédie d’existence. Sa reconnaissance, c’est le désir en train de se soustraire au récit en cours. Le récit est ce que la parole contractée soulève de questionnements et de mise en perspective par l’espace de ce qui se pense dans un temps résolu, c’est à dire un temps qui montre son récit, sa langue. Il pleut des pleurs sur l’auscultation du linge. Quel enterrement se produit, au plus près de la peinture indifférente. La peinture opère un va-et-vient sur cet objet de désaccord du cadavre. Si la peinture ensevelit la représentation et sa reproduction du monde, c’est par une pente, un esprit libre que cette liberté d’imprimer son nom, d’habiter ce qui s’éteint, se ferme, de peinture dans une « abstraction » (on en vient à nier ce voir cette vision d’un sens qui s’annule à se reproduire à l’infini), que se tisse une autre vue, un corps incarné, un linge, le drap du peint qui s’ouvre s’éveille à la trace sépulcrale, au linceul d’une résurrection du peint. Cet ouvert/fermé prennent en charge l’énergie, le tampon des coups, des coupes que Matisse a tenté de risquer dans ses papiers découpés, insistant sur la couleur comme paramétrage d’une bacchanale du plaisir que l’œil seul ne peut dévoiler. L’esprit libre est un esprit qui souffre, la liberté n’engage que celui qui l’habite.
Thierry Texedre, le 10 novembre 2024.
Photos et peintures de
Gina Pane (1939-1990)
artiste plasticienne française
artiste performeuse
représentante de l’art corporel
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