L’œil au regard musical
C'est une retombée, milieu du baroque, le temps qui s'ouvre double, étirement d'un manque parfait ; celui de l'ellipse. On entre en rédaction. De celle qui s'applique à la peinture qui occulte le discours quand on la voit, pour faire parler cette économie de l’œil qui serait imparfait à regarder une peinture. Le monde baroque est un monde où ce qui apparaît du peint est une « représentation des contrastes et de l'éphémère de l'existence, c'est l'apothéose de la splendeur, de la mort et des ténèbres ». Le physique et la pensée sont dissonants. L'origine de la musique se mesure aux senteurs sexuées de l'hyperbolique reproduction humaine, puisque devançant toute trace, tout signe, toute création, dans une grammatique posturale. On rencontrera donc dans la peinture moderne quelque chose qui semble « musiquer » chez Le Greco, Vassily Kandinski, Piet Mondrian, Robert Ryman, Jackson Pollock qui danse sur la toile contextualisant ses drippings, ou ouvrant au tragique chez Vladimir Velickovic aux sons de la chair, au corps en suspension au-dessus de la toile chez Fabienne Verdier, et tant d'autres peintres qui font courir les couleurs dans une sensualité indescriptible, forçant les couleurs à vibrer, à chanter, telles que ces surfaces colorées zébrées d'un « zip » vertical chez Barnett Newman. Deux mondes décentrés et hypertrophiés, et un centre, celui qui appartient à l'espace du regardant perturbateur, celui qui fait résonner la parole de la tension, musique à contrario, qui fait monter les couleurs comme la pression de l'inconnaissable.
Et Hansina Iversen me direz-vous, qu'en est-il de ses peintures ici, dans ce démembrement charnel du paysage contemporain ? Si le baroque exulte, la nature, l’exauce, les couleurs semblent courir inexorablement vers l'extensionnalité, là où on ne les attend pas ; soit dans une formulation des formes sans conteste invoquant l'anamorphose. Hanzina peint accompagné par la musique. Beethoven provocateur de puissance, de tension entre douceur et exacerbation de temps forts, dans un maniement elliptique de la composition musicale, voilà le rapport, la posture baroque qui va se transcender chez Hanzina Iversen. Et l'on devine une peinture de paysage qui ne sait pas ce qui se passe ni ce qui se montre.
« Chaque tableau pris isolément n'a pas de titre. Le plus souvent je travaille à plusieurs toiles en même temps sur une durée plus ou moins longue. »
« Les toiles comportent plusieurs couches, et chaque couche est sèche avant l'application de la suivante. Ainsi, bien que je peigne à l'huile, les couleurs se superposent sans se mélanger, formant ainsi de nouvelles couleurs et de nouvelles formes... Je préfère ne pas savoir ce que je vais faire. »
Thierry Texedre, le 6 avril 2022.
Hanzina Iversen (1966-)
artiste peintre, vit et travaille à Torshavn, Iles Féroé.
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