vendredi 26 septembre 2025

Meleko Mokgosi, l’art de l’indistinct

 













Meleko Mokgosi, l’art de l’indistinct


Meleko Mokgosi, né en 1981 à Francistown est un peintre américain d’origine botswanaise et professeur à Yale, se définit comme un peintre d’histoire. À travers ses toiles monumentales, il explore le colonialisme, la démocratie, la mémoire et la libération, en mettant sur le même plan l’histoire classique et la vie quotidienne.

Son œuvre remet en question les « grands récits » occidentaux et cherche à réhabiliter des formes de savoir marginalisées, qu’elles soient spirituelles, traditionnelles ou ancrées dans la culture africaine. Mokgosi interroge la mémoire comme construction partielle et parfois trompeuse, et considère que l’histoire humaine peut être comprise aussi en dehors du sujet humain et des cadres humanistes des Lumières.

Plastiquement, ses peintures mêlent figuration et abstraction, jeu de textes (en setswana ou en jargon académique) et images réalistes. Ces dispositifs révèlent à la fois des fractures (entre initiés et profanes, entre savoirs) et des rapprochements, en brouillant les frontières entre peinture d’histoire et scènes de genre contemporaines.

Les panneaux sont installés souvent bord à bord, ils apparaissent aussi dans un format , un agencement différent. « L'image de l'un glisse dans le panneau adjacent. »


L’artiste dit : « Se pose donc la question de savoir comment comprendre l'histoire humaine en dehors du sujet humain. C'est un sujet qui m'intéresse constamment car – je suis sûr que vous, et beaucoup de gens, serez d'accord – l'humanisme n'est pas la seule façon d'examiner le mouvement de l'histoire. Regarder au-delà des discours laïcs et humanistes a donc été intéressant ; j'ai donc cherché à identifier comment la criticité pouvait se manifester ou être pratiquée en dehors de la laïcité ou des connaissances issues des Lumières. D'autres espaces, comme les pratiques spirituelles, la sorcellerie et la médecine traditionnelle par exemple, offrent des perspectives instructives. Les ancêtres jouent également un rôle important dans notre façon d'appréhender le monde. Ainsi, toutes ces choses existent en dehors de notre compréhension immédiate de nous-mêmes en tant que sujets humains qui nous considérons comme le centre, car nous possédons une conscience et pouvons donc produire l'histoire. » … « L'objet possède son propre langage. » 


L’œuvre de Meleko Mokgosi brouille volontairement les frontières entre mémoire et histoire, entre peinture d’histoire et scènes ordinaires, entre savoirs occidentaux et connaissances marginalisées. Ses toiles monumentales deviennent ainsi des espaces de confrontation, où l’image et le texte, le visible et l’invisible, dialoguent sans jamais s’unifier. Les critiques soulignent dans ce travail à la fois une remise en cause des récits dominants et une réhabilitation de perspectives alternatives. Mokgosi affirme ainsi la nécessité d’élargir notre regard sur l’histoire, en accordant à la vie quotidienne et aux savoirs invisibilisés la même dignité que celle réservée aux grands récits officiels.





Thierry Texedre, le 26 septembre 2025.


dimanche 21 septembre 2025

Théâtralité d'une mise en mémoire

 



"Avion en papier", 2024, Huile, acrylique, peinture en aérosol, poussière de marbre, drap de lit en coton, papier sur toile et tissus de tente de surplus militaire, 205 x 240 cm








"Parasol", 2024, Huile, acrylique et peinture en aérosol, poussière de marbre, coton sur tissu de tente excédentaire militaire, 200 x 260 cm







































 Jo Dennis

Née en 1973 en Écosse, Jo Dennis vit et travaille à Londres. Formée à Goldsmiths College (BA Fine Art, 2002) puis au Royal College of Art (MA Painting, 2022), elle développe une pratique multidisciplinaire qui s’ancre dans la peinture monumentale, la photographie et l’installation. Ses œuvres intègrent des matériaux trouvés — notamment des toiles de tentes militaires — qui portent la mémoire de leur usage et deviennent supports de gestes picturaux amples et expressifs. Par la stratification des couleurs, des plis et des traces, Dennis interroge la persistance du temps et la matérialité de la mémoire. Elle a exposé à Londres, Mexico et à l’international, et ses récentes grandes toiles explorent la tension entre disparition et réinvention. On devinera quelque influence avec Sam Gilliam, artiste qui dans les années 60-70 et après a exploré le pliage, le drapé des toiles, les toiles suspendues, la liberté du support textile, ses mouvements. Chez Dennis, même si le drapé est moins évident ou moins mis en scène de manière sculpturale, l’idée du tissu comme support souple, avec sa propre gravité, ses pliures, ses tensions, est présente. Le drapé peut apparaître dans les plis naturels de la toile de tente, dans la façon dont les éléments textiles (draps, coton) sont intégrés ou attachés, dans les rides ou plis que la toile porte et que la peinture souligne ou compense.

Théâtralité d’une mise en mémoire

Qu’est-ce que la mémoire, sinon une scène instable où s’entrelacent les fragments du vécu et la matière du présent ? Peut-on, par la peinture, théâtraliser le temps, c’est-à-dire lui donner corps, lui assigner un décor, pour endosser ce qui se perd ? Les œuvres récentes de Jo Dennis, et en particulier Paper Planes (2024) et Parasol (2024), répondent à cette interrogation en transformant la toile en espace dramatique où les gestes picturaux, les tissus, les traces et les matières se chargent de la mémoire des lieux et des corps.

Ces peintures imposantes — plus de deux mètres de hauteur et de largeur — ne se présentent pas comme de simples surfaces d’images. Elles se dressent comme des théâtres de mémoire, où chaque couche de couleur, chaque coulure, chaque fragment de textile apparaît comme un acteur sur scène. La monumentalité du format oblige le spectateur à une confrontation physique : l’œuvre enveloppe, absorbe le regard et l’inscrit dans une temporalité élargie.

Dans Paper Planes, la composition divisée en deux champs verticaux juxtapose masses brunes et rouges saturées avec des plages de bleu clair, presque aériennes. Sur le côté droit, une bande rouge, semblable à un rideau, souligne la dramaturgie de la scène picturale : quelque chose s’ouvre ou se ferme, comme au théâtre. Les gestes — frottés, effacés, recommencés — font surgir une mémoire stratifiée, un palimpseste où subsistent à la fois la gravité des ruines et la légèreté de l’envol.

Parasol, plus lumineux, se déploie dans des tonalités rosées et chaudes, traversées par un objet identifiable : un parasol, forme géométrique fragile au milieu d’un champ pictural marqué par la turbulence. À gauche, un drapé textile fixé sur la toile introduit une matérialité tangible, presque sculpturale. La peinture ne se contente plus de représenter ; elle devient le lieu même où la mémoire se déplie, où les plis du tissu renvoient aux plis du temps. Le parasol, figure protectrice et estivale, apparaît comme un abri précaire, une scène improvisée sous laquelle se rejoue la fragilité de ce qui demeure.

Ainsi, ces toiles ne racontent pas une histoire linéaire mais condensent une mémoire fragmentaire, où le passé et le présent coexistent dans la matière. La peinture chez Jo Dennis n’illustre pas le temps : elle le théâtralise. Elle en montre les coulisses, les répétitions, les effacements et les reprises. Chaque trace est une réplique, chaque couleur un décor prêt à dissoudre sa précédente contemplation. Chaque couture marque une frontière entre apparition et disparition, entre ici et ailleurs.

La mémoire, ici, n’est pas conservation (accumulation de matériaux préexistants, explosion étalement ou dissémination des objets), mais mise en scène. La mise en scène est une exhortation à démontrer qu’une histoire devient possible eu au regard porté d’une peinture exposée et offerte à l’immersion. Elle ne se contente pas d’archiver : elle dramatise ce qui s’efface, elle donne forme visible à ce qui, autrement, se perdrait dans le silence. Par cette théâtralité, Dennis fait de la peinture un espace critique et poétique où le spectateur est invité à reconnaître dans la matière usée, dans la coulure, dans le drapé, la persistance du temps lui-même à condition que la mémoire veuille bien se résoudre à oublier l’histoire de la peinture.



Thierry Texedre, le 21 septembre 2025.










jeudi 11 septembre 2025

Daisy Parris Plongée et vision de la peinture

 



























Daisy Parris Plongée et vision de la peinture




Né·e en 1993 à Kent (Royaume-Uni)
Vit et travaille entre Londres et le Somerset
Représenté·e par la galerie Sim Smith (Londres)



« [Je suis inspirée par] le monde qui m'entoure, les liens humains, les émotions, le quotidien, la survie, l'espoir, l'anxiété, la dépression, la musique, la perte, le deuil, la réflexion.

Je suis originaire du Kent, donc pouvoir y exposer une grande œuvre est un rêve devenu réalité et un véritable retour aux sources. La scène artistique et musicale du Kent a eu une influence considérable sur mon enfance et j'ai toujours voulu être reconnue comme en faisant partie et contribuer à la culture qui m'a façonnée. »



Chez Parris l’altérité se mêle d’une certaine façon de ce qu’iel « ne regarde pas ». On entre en peinture ici, comme on entre en confession. Peindre reste un acte de foi ; de ces dépendances à un entendement extérieur, livré à cet au-delà intemporel qui fixe les limites d’une subjectivité somme toute livrée à l’émotionnel. Cette abstraction gestuelle et expressive nous entraîne dans les arcanes de nos états intérieurs, de nos croyances acerbes et contaminées par l’idéologie et la politique ; mais pas seulement, la peinture de Parris touche au risque de la démesure du langage, ainsi soulevé dans ses peintures en coin, en collages par bandes, pour « illuminer » la peinture, la rendre caduque privée de ces dires enfoncés malgré une représentation rendue à sa plus simple expression. Les liens historiques d’une telle peinture donne à penser qu’il est possible de sortir de l’histoire de l’Art tout en s’y maintenant dans ces couches peintes fortuitement, laissant entrer Johan Mitchell par ces coups de pinceaux violents et pleins d’empâtements, mais pas seulement, il y va du paysage aussi dans ces immenses toiles où la nature ; peut-être une nature intérieure, prenant place incidemment ou troublant toute la peinture. Et l’écriture citée plus haut devient récurrente. On la retrouve partout dans la peinture de Parris. Peut-on alors parler d’un retour de la peinture de « lettré » telle que l’a initiée la Chine ? En attendant, on retrouve des bribes historiques dans la peinture du vingtième siècle. Comme chez un Jean-Michel Basquiat dans une superposition de textes et d’images, dans une sorte d’urgence expressive. Et Cy Twombly pour ses écritures picturales, gribouillis, et fragments de mots comme prolongement de l’intime.

La peinture est une plongée, une immersion dans un espace où les couleurs et les textures remplacent en grande partie les mots. Plaçant ou déplaçant la spontanéité gestuelle jusqu’à la limite de cette reconnaissance du réel, c’est alors que les mots et les phrases prennent le relais en coin ou comme « ensemencé » un peu partout sur la toile. Les couleurs sont vives en contrastes, contribuant à rendre les émotions en plongée. Mettant la mémoire à rude épreuve, allant où se profile l’infini, l’inconnaissable. Habiter la peinture pour ne pas la montrer, différer de l’exercice commun de la jouissance, laissant le champ libre au désir, aux sens à venir. Le corps va tromper l’œil entrain de peindre, le détournant de l’expression d’une représentation pour jouer avec le temps, l’« infinir ».





Thierry Texedre, le 7 septembre 2025.














Richard Zinon peintre

 




















Réflexion intérieure


Cette pluie de la nuit

sur la plage du temps

encartée depuis l’aube

l’autre côté la rencontre

avec ces points ce bleu

ce rouge sur le sable

d’une rencontre à vif

poussé par des traits semés

lancés au nez de la pensée

c’est là que sourdement

la peinture sort du rêve

pour lier en contrastes

ces contraires usés

sans figure ni vide

juste la profonde beauté

qui sort en oriflammes



Thierry Texedre, le 11 septembre 2025.





Richard Zinon peintre est né à Manchester en 1985

vit et travaille à Snowdonia au nord du Pays de Galles