La peinture endémique ou un art pictural de la fission
La peau résolue d'une révolution s'étend, aléatoire, parce que le risque de sa disparition ne vaut qu'à soulever sa présence dans un temps disloqué. Ce corps se répète, parce qu'il n'est pas résolu au massacre vertigineux d'un réel. Sa jubilation ira gangrener ce qui se pose comme vérité, la transmission, sa nudité, renversant ainsi l'existence ; c'est une excitation liée au temps.
Le temps et la peinture sont liés. Un corps de la répétition vient réagir dans la peinture, comme une subordination au risque temporel de la disjonction avec le vivant. Le peint est un révélateur, une borne, dans un entre deux de la répétition et de la mort. Cette disjonction vient explorer, exploser la finitude du vivant, déplaçant une certaine temporalité sur un support, une trame, où une peinture s'étend en réfraction comme matière de la peinture, comme exploration de l'indifférence, du sens vie/mort, et ce, jusqu'à un soulèvement, une une réorientation visuelle, une instruction sur l'immatériel, c'est la polyphonie du vivant. La peinture s'émancipe à chaque enterrement de sa lecture. Juste le temps de voir sa dépression s'évanouir en une autre mémoire, une interminable réflexion/réverbération qui la fera graviter autour d'un questionnement sur l'indice irrésolu de sa mise en suspens un temps donné. C'est la mémoire qui ouvre la peinture à une trajectoire qui la montre comme source imprévisible et permanente d'un recommencement, une reconnaissance de ce sujet dont on ne peut mimer et imiter le trauma ; ce qui se déclare et éclate dans une dérive du double au multiple d'un lien social altéré par cette peur, ce déferlement, cette retenue du temps. La peinture serait devenue aléatoire, à trop écouter l'infini de l'altération sociale (celle qui montre le lieu de la théologie, et puis celui de la révolution comme écartement, coupe avec le sacré, avec une vision de l'Un théologique), une peinture entrant par là, aveugle (et aveuglée par le manque, l'irruption d'une hiératique couleur), dans l'insécurité constante à représenter, (la liaison ici, serait celle de la langue qui explicite pour nommer, reconnaître une trace). Un indice qui perdure dans la forme (une formulation, un chaos) pour faire signe. Ainsi la forme ira dans le sens de l'aléatoire, et l'envelopper le circonscrire, comme délire d'un futur désir (que la peinture vient toucher, caresser, imitant un corps amoureux). Ce lieu inapproprié de la peinture viendrait multiplier sa tentative d'irradiation de ce qui pense, pour envelopper, interroger l'absence de l'Un, comme communauté (l'impossible communication), seule une communion peut espérer rencontrer quelques sujets visitant une imposture, une conscience (la jubilation que l’œil peut d'explorer de nouveaux signes traduits à l'origine de toute écriture), et ce, par l'expérience de la peinture. La peinture naît alors d'une hyperbole entre l'assemblage des signes en un agglomérat sensible, un récitatif intelligible, et une extension de cette lisibilité dans une musique, une organisation dans un lieu de l'appréhension picturale. La peinture endémique est une peinture qui sévit malgré une mise à mort qui revient sans cesse de la peinture, annonçant par là une certaine répétition, parallèle qui s'organise dans un milieu social qui défigure son contrat à mesure que celui-ci se contracte (c'est le malaise qui sévit quand une société produit un schisme avec la perte de jouissance d'un corps érotique irrésolu).
La peinture abstraite transcende tel un langage universel, formes et couleurs qui avancent ou reculent une saturation dans une certaine illusion d'optique ; c'est là que se situe l'apparition ou la disparition d'une imagerie articulée dans l'Histoire comme un flou, c'est une une certaine incandescence qui obstrue toute division avec l'incarnation d'une représentation. Une peinture qui proposerait une cinétique depuis cette illusion d'optique, montrerait un certain divisionnisme expectorant, évacuant la visibilité d'une peinture, sa luminescence en mouvement, pour imaginer un pointillisme opalescent, « un voile moucheté de couleurs atmosphériques » tel que nous le propose un Tomm El-Saieh. Faut-il remonter à Georges Seurat pour insister sur cette visibilité ? Lequel influence l'autre ? De ces points d'achoppement semble se résoudre une équation, un regard tourné vers cet « all-over » (répartition plus ou moins uniforme du médium d'un traitement pictural), d'une distanciation de l’œil avec une conscience déportée « Quand je suis dans ma peinture, je n'ai pas conscience de ce que je fais. C'est seulement après une prise de connaissance pour ainsi dire, que je me rends compte de ce que je fais », disait Jackson Pollock quand on l'interrogeait sur l'automatisme dans sa peinture. Un grand écart me direz-vous avec Tomm El-Saieh, si ce n'est de celui de ces motifs entrelacés d'une intrication Vaudou haïtienne révélée chez Tomm El-Saieh, grand écart, entre une peinture aux rituels Vaudou, et des représentations archétypales communes à toutes les cultures humaines images primordiales chez Carl Gustav Jung ?
On entre en musique comme on entre en religion, avec des points d'interférence, des silences et ces lectures à peine lisibles, des mots et des phrases aux gammes cinétiques, des portées aux flous incandescents. Voilà la peinture qui nous descend de l'atome, d'une fission de notre vision quant à ce qu'elle a de reconnaissance à trop rencontrer ce regard écarté.
Thierry Texedre, le 14 octobre 2021.
Tomm El-Saieh
artiste peintre
né en 1984 à Port au Prince, Haïti
vit et travaille à Miami et à Port au Prince
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