Suspension
La peinture, prend-elle la réalité
pour médium ? Et cette réalité a-t-elle une certaine
conciliation philosophique à sortir les couleurs de leur gangue
indéformable du plaisir qu'un regard offre à trop peu en parler ?
L'art s'y prend à en parler et pourtant, on ne croit pas si bien
dire quand la peinture accélère ou ralentit ses couleurs. Là est
le nœud du problème d'une peinture qui s'ouvre et se referme sur
l'instantanéité.
Andy Denzler semble peindre cette
opportunité qui résout toute figure qui s'escamote, diminue à
mesure qu'on appose ces coups de pinceaux sans limite ni début. Une
couleur venant toujours démentir l'origine de tout traitement. Et
alors, qu'est-ce qui reste me direz-vous, sinon une suspension, une
interruption, qui se cogne au désir. Pour ce qui est de cette
peinture au regard détourné (vision de quelque chose d'autre, de
quelque chose qui n'est pas encore représenté), ne s'agit-il pas
d'un espacement (courbes, droites), qui interagissent pour laisser un
certain spectre, un spectacle qui longe l'absence émotionnelle ici
montrée dans son effacement volontaire, laissant au spectateur
l'innommable intention de dévisager ces regards pris dans le flou du
sujet, le flou de cette distorsion réaliste. Le temps est ici montré
parce qu'il passe et montré comme une interruption de la figure
humaine ; pourquoi une telle opération qui montre des couleurs
aux teintes dissoutes jusqu'au monochrome, lueur des couleurs qui
font révéler une photosynthèse en « bandes organisées »
du temps inventé pour expliciter notre erreur à vivre dans le temps
qui œuvre entre abstraction et réalité.
L'artiste peint en « épaisseur » le traitement du ralentissement des couleurs. Allez voir au plus près ce qui se trame par ce qu'on ne peut voir autrement l'intention de l'humain.
L'artiste projette son inspiration
depuis ce réel qui montre des films, des photographies, des médias,
jusqu'à faire disparaître ce réel pour un temps de la
dépossession. Ici, recomposé dans de superbes peintures pleines de
personnages aux états d'une latence intentionnelle, telle une
introspection qu'il est possible d'explorer dans les mouvements sans
voix de la peinture d'Andy Denzler.
Thierry Texedre, le 12 mai 2022.