lundi 6 août 2007

dialogue dans l'urgence de l'improvisation 1/3




















Te di todos mis suenos, 2002-2003 Désirée Dolron.


Dialogue: 1/3

[ Les deux intervenants sont assis dans de larges
fauteuils cannelés sur l'assise et le dossier. Un
cendrier sur pied et en bois tourné sépare les sièges,
sorte de prévenance envers les hôtes. Les deux
hommes sont prêts à en découdre avec la parole et
son image, celle d'un sujet clos. L'un nommé S est
un fumeur, et tient dans la main droite un fume
cigarette en écume de mer, au bout duquel se
consume déjà une cigarette; peut-être des blondes?
L'autre personne T est certainement un non
fumeur, car avant l'intervention les deux hommes
se sont rencontrés dans une autre pièce, et T
avait l'air de cligner des yeux, et ce, à chaque
bouffée de fumée envoyée par S pendant leur
conversation. Il est un peu gêné par la fumée,
mais il en convient. S sera en mesure de se tourner
du côté opposé à T pour que l'affaire s'arrange...]
T- Comment aborder la grande chose que le dire
ne peut résoudre?
S- J'en conviens, il faut s'y soumettre, hum...
[Le silence semble s'emparer des deux hommes
pendant quelques minutes, avant de...]
T- Mais ne te réserves-tu pas le droit d'en parler, ou
d'y passer à la trappe?
S- Là est le problème! [ silence] Le passage d'une
temporalité à une autre certainement. [Très appuyé
dans le ton.]
T- Sur quelle interrogation, sur quelle improvisation
peut-être?
S- La décision de prendre à bras le corps le dire pour
lui faire subir la plus grande "implosion" de tous les
temps ne va pas sans rester de glace devant ce
nouveau réel, cette révolution! [Étonnement et
malaise de l'entendant]
T- Ça me surprend ce nouveau réel? Je ne comprend
pas bien, le réel étant par essence si l'on peut dire, ce
qui est de l'ordre de l'existence dans son enracinement!
L'homme vit et il a une conscience de son parcours. Il
est dans un milieu social qui pour lui est une réalité,
celle de toutes ses journées et de ses nuits, mais il sait
aussi que ce réel n'est pas le même pour tout le
monde, non? [Léger mouvement des bras, en même
temps qu'il s'exprime. Il semble un peu contracté
malgré tout]
S- C'est un état fusionnel bien sûr.
T- N'est-ce pas entre autre quelque chose de la réalité?
S- Celle-ci nomme l'existence mais se laisse prendre
dans une représentation une "chose" qui ne tient pas
devant l'atomisation de la "lettre", et par là-même de
la pensée. Donc nous nous devons de rendre compte
d'une réalité du fait que la parole prise dans son "dire"
l'écriture, doit faire surface comme "composition" au
même titre que la musique passe par son écriture
pour rendre socialement toute approche conflictuelle
du "néant" inopérant; sans un retour sur le sujet
parlant.
T- C'est un saut dans l'indéfinissable?
S- Oui, dans la division. [Sourire sur le coin des lèvres,
et tire deux bouffées.]
T- Dans une perpétuelle reformulassions du corps
pulsionnel pris dans "une tête au carré" pour rendre
l'image au plus près du rituel, avec sa connotation
de lutte, de refus de l'autre, par manque de connaissance
de la matière verbale. [Il se sent déjà mieux, et croise
les jambes pour satisfaire à sa réponse.]
S- Un trop plein d'images, un encombrement au niveau
du dire qui ne tient pas face à l'image "décentrée". [Les
deux s'enfoncent dans leur fauteuil comme pour faire
comprendre à l'autre qu'ils sont détendus.]
T- Une autre temporalité n'est-ce pas un retour sur "l'au-
delà" de la théologie, ou encore celle du Vide comme
principal moteur, source d'images? [Long silence
encore.]
S- Possible dans la pluralité des voix...
T- Le silence encore, comme John Cage en musique!
S- c'est de l'ordre de la permanence, dans le sens que
ce qui s'écrit, se "crie" avant de se dire; le cri sortant
du corps par l'entremise de la respiration mais encore
et surtout de ce que la cavité buccale vient chercher au
profond de sa voix: une "chair", une "jouissance"
permanente en d'autres termes. [L'auditeur contracte
ses pommettes en signe d'insatisfaction, avant d'avaler
sa salive comme si l'impatience était dans l'air ou
contractions zygomatiques et régurgitation de la
salive de l'entendant.]
T- Venons-en au rôle de la peinture dans la société
ou pour être plus précis, comment la peinture peut
peindre dans l'histoire de sa propre filiation et par là-
même, quel enjeu va-t-elle permettre dans la mouvance
sociale?
S- La peinture a préparé son entrée dans l'innommable,
en admettant que son rôle reste celui de la représenta-
tion, son rôle de voir, puis de vision; à donner comme
conscience que dans un Tout Social permanent la
peinture relève le défit de la théologie, mais à l'envers.
Nous pouvons dire dés lors que le volet peinture
donne à l'écriture sa vérité, et à la représentation le
système que toute société à venir devra probablement
intégrer à toute forme d'évacuation d'une subjectivité;
inversement proportionnelle au monothéisme, de son
apparition, de sa conscience. Pour en venir à son enjeu
social, si on peut parler de mouvance, de déplacement
de quelque strate du milieu social; c'est dans la mesure
où la peinture faisant appel au format, au dessein (la
couleur ne peut se soustraire à son dessin, dans le
séchage de celle-ci, représentation malgré elle dans
son auréole) elle tient lieu de ponctuation du milieu
socio-culturel, mais encore historique de son sujet
(le peintre) et de chasse dans le sujet peint (la figure
en cours de traitement), à travers la matière du sujet
de la peinture. Malgré sa charge passée dans la contra-
diction, la peinture passe son temps à nier le réel qui
ne convient jamais au sujet pensant; en cela ce qui
déborde de la peinture (l'écriture) va entrer dans son
espace, dans celui du musical aussi, car le son
produit l'image et l'image en retours traduit l'écriture
à travers le signe, comme manquement de tout dire
d'en savoir trop sur l'image avant que celle-ci ne
fasse le lien social. Voilà pour le moment ce qui
ressort du mouvement que la peinture entrouvre,
que la figure peinte déplace déjà avant que ne lui
tombe dessus une autre histoire, une autre digression!
[Éclats de rire des deux intervenants, avant un long
silence qui entame la reconnaissance du dire.]
T- Une autre digression!
S- Sans doute.
T- Revenons au dire.
Pour que fonctionne celui-ci, ne faut-il pas encore et
toujours l'image mais encore sa réserve: l'écriture.
Qui en passant par le corps (le parlé) va compromettre
son lien (le lieu), sa filiation au dire en créant peut-
être par là une autre image qui là, fait figure, fait corps
en somme donnant au social un sens, une voix, de la
voix au corps au pensant.
S- Vous venez de faire réponse à un questionnement
qui restera éternellement présent et constant, comme
en musique le temps qui marque la présence des notes,
pour en donner un rythme, une vitesse, un phrasé;
donc pour ce qui est du dire, il faut en passer par
l'image mais pas celle d'une représentation qui fait
appel à la reproduction, mais à la figure compulsive
d'un lieu du corps pensant qui fait corps parce qu'il
y a de la peinture et, par là-même de la loi; et encore
pour y aller dans le sens, il y va ensuite du social,
mais toujours parce qu'il y a du manque, manquement
à la règle, quelle règle! Sinon de l'impossible dire qui
comme il convient n'en finit pas de courir après son
vide, son blanc, son aveuglement, son futur, sa
langue; sans jamais y parvenir (que par le délire),
ni par l'écriture, ni par l'image... A suivre dans un
autre monde!
[Un raclement de gorge, de la sueur, des gouttes qui
coulent sur les tempes, laissent présager une impa-
tience, même comme une indisposition dans ce face
à face impossible, improbable, impossibilité du dire
qui traverse sans jamais faire face.]
T- Bien, qu'en est-il de cette hétérogénéité qui livre
le corps à sa textualité, à sa partition, pour que du
dire puisse avoir lieu, et en retour un travail du
pensant sur l'écriture et peut-être de la loi?
S- Ici, tout passe par le son.
c'est une histoire de musique qui depuis plusieurs
décennies lance la langue dans un espace que seule la
psychanalyse peut tenter d'amorcer, de compromettre
peut-être! Ce qui est radical à ce stade, c'est le com-
portement social de tout être pensant, être parce que
lié au social, être s'y reconnaissant; c'est le début de
toute pesanteur, de toute chute, de la verticalité, du
vide, du blanc au noir d'y voir le blanc de la peinture
comme échange, interaction de la trace à la matière
colorée via le mouvement du pensant sur une autre
corporéité, celle-ci hétérogène! Nous ne le répéterons
jamais assez, que c'est par un travail du corps pictural
que va se faire la "lecture" pour que saute le soc littéral
de toute emprise sur l'image; mais d'une image qui n'
est pas une fuite de la littérature, de sa complémentarité
ou encore d'une lutte entre abstraction et figuration.
Car alors tout travail pictural serait encore et toujours
dans un ordre de la servilité. Toujours un double
venant conforter dans le social, faire le jeu de l'air du
temps! Donc il faut encore et toujours marteler que
cette picturalité va fondre toute la peinture passée et
avenir pour en sortir la finitude du monde socialisé et
nous libérer l'esprit de toute overdose surdéterminante
et parasite, quand au vivre de l'état de la subjectivité
que la loi publique anesthésie chaque jour un peu plus.
[N'est-ce pas le moment de se poser, la cigarette est
déjà éteinte depuis un moment, au bout du porte
cigarette vidé de son contenu et ayant comme un air
comique au bout des lèvres de S. Il se lève pour
chercher une autre cigarette dans un paquet logé
dans la poche intérieure de son veston. T semble
agacé par ce temps passé à vouloir encore tirer sur
la cigarette. Tous les deux reprennent place après un
léger flottement dans l'air, comme si le dialogue n'en
était qu'à son début.]